Dans le portrait du mois, nous nous sommes entretenus avec l’artiste et sculptrice Man Yau, dont quelques œuvres sont présentées en ce moment à l’Institut finlandais dans le cadre de l’exposition Keep Your Garden Alive. Man a commencé ses études à l’Université Aalto, et y a suivi le programme de design céramique et verre. La carrière de designer vers laquelle elle pensait se diriger, s’est vue remplacée par celle d’artiste plasticienne lorsque l’étude des matériaux s’est substituée à la recherche fonctionnelle. Man, qui vit et travaille à Helsinki, partage avec nous ses raisons de participer à des programmes de résidence, ses choix en ce qui concerne ses matériaux de travail, elle nous parle de Brancusi ou encore de ses projets à venir, et bien d’autres choses.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre passé, et comment vous avez fini par travailler en tant qu’artiste plasticienne ?
Juste après le lycée, j’ai commencé à étudier à la faculté d’art, de design et d’architecture de l’Université Aalto. J’y ai entamé le programme de design céramique et verre. Je voulais devenir designer, et, bien que mes travaux universitaires en design aient toujours dévié vers autre chose que du design à proprement parler, à ce moment-là, je ne me destinais pas à la sculpture. Par exemple, je m’intéressais toujours plus à l’étude expérimentale du matériau plutôt qu’à la fonctionnalité du produit fini. Les travaux étudiants tendaient de plus en plus vers la sculpture. L’un de mes plus grands pas vers la sculpture date peut-être de 2012, lorsque je travaillais sur le projet “Porcelain Decks”. Dans ce dernier, j’ai employé la fonction d’un objet usuel comme étant une partie d’une idée artistique, et ce type de méthode est toujours bien visible dans mon travail. La combinaison de l’art et du design est une dimension essentielle de mon travail.
En automne dernier vous avez été résidente au Shigaraki Ceramic Cultural Park au Japon, résidence organisée par le Finnish Institute in Japan. Pendant cette période est née la série d’œuvres Shiga-Love, par ailleurs exposée en ce moment à Keep Your Garden Alive. Comment cette période a-t-elle affecté votre travail, et comment cela se ressent-il dans vos œuvres ? Avez-vous prévu de réitérer l’expérience de résidence artistique ?
J’ai eu une magnifique expérience au Japon. Ce fut relativement court comme période de travail, pour tout ce qui est céramique surtout, seulement 6 semaines, alors j’ai choisi de me concentrer davantage sur les difficultés techniques comme la méthode de jointure sur céramique, ou celle de la sous-glaçure. J’ai développé une méthode de jointure qui est pleinement réalisable par le travail de la sous-glaçure de la céramique, sans même de glaçure finale. Ces techniques, ainsi que toutes les influences auxquelles j’ai été soumise pendant la résidence, ont eu une grande influence sur la forme que mes sculptures prennent.
Dans un futur proche j’aimerais renouveler cette expérience de résidence. Pour l’instant je n’ai toujours pas posé de candidature, tout simplement parce que je ne veux m’inscrire qu’à des programmes qui ont les moyens de subventionner une partie de mon séjour. Travailler en résidence d’artiste réclame en effet beaucoup : dans un certain laps de temps il vous faut apprendre à travailler dans un nouvel environnement avec de nouvelles personnes, mais aussi effectuer des recherches en amont qui correspondent à ce que vous avez prévu, et idéalement travailler aussi sur ses œuvres. C’est un vrai challenge si l’on n’est pas soutenu !
Vous travaillez souvent avec des matériaux exigeants, comme le bois, la céramique et le marbre, dont le travail demande un grand savoir-faire et une grande compréhension technique. Mais finalement quel est votre matériau favori, et pourquoi ?
Le choix du matériau est primordial dans la démarche artistique, j’utilise toujours telle matière pour telle sculpture, car cette matière est “faite” pour l’œuvre. En d’autres mots, j’entame rarement un projet en me disant “je dois faire quelque chose à partir d’argile” ; le choix du matériau se fait plutôt en fonction de mon projet. Par exemple mon projet “Porcelaine Desk”, n’aurait jamais été un projet basé sur le travail du verre, d’une part à cause de l’histoire du matériau, et d’autre par parce que l’utilisation du verre n’aurait pas soulevé toutes les implications artistiques que mon projet exigeait.
En fait je ne peux pas vraiment dire quel est le matériau que je préfère, bien que la céramique ne soit peut être inconsciemment mon matériau de prédilection dans la mesure où je travaille avec depuis bien longtemps et que sa maîtrise me paraît simple. On pourrait dire que j’aime les matières dures et durables, à l’instar des matériaux doux et synthétiques, qui eux me sont moins familiers.
Votre travail est souvent colorée et audacieux. Selon quel type de procédé s’effectue le travail préparatoire de votre palette en ce qui concerne vos sculptures ?
Les couleurs sont omniprésentes depuis toujours dans mon travail. Le choix de la palette de couleurs est réalisé de la même manière que je choisi les matériaux avec lesquels je vais travailler. Dans certains projets les couleurs sont déterminées en fonction des problématiques techniques (dans le projet Delfu, il s’agissait de cacher la créatrice) , tandis que dans d’autres les couleurs sont juste présentes de manière répétitive et présentées sous forme de motif (dans Planet HER-BB il y avait une problématique de production). Je cherche souvent à réaffirmer la “personnalité” des sculptures par les couleurs, mais j’évite de me servir des références et symboliques des couleurs telles qu’elles existent de manière universelle, à savoir par exemple, comme le rose serait associé aux filles et le bleu aux garçons.
L’exposition Keep Your Garden Alive présente également votre œuvre intitulée Ladybug. Qu’est ce qui se cache réellement derrière cette pièce ?
Ladybug est une œuvre issue de la collection Nexus, que j’ai présentée l’année dernière à la Helsinki Design Week, faisant partie de l’installation HOP. Dans cette série, je traitais les jointures, les jonctions, en créant des capacités et des relations visibles dans la sculpture. Dans cette sculpture, j’ai pensé aux ombres, en fait plutôt à une personne ou à une chose, et ce à quoi son ombre ressemblerait. Pour autant, Ladybug n’est pas le portrait de cette personne ou de cette ombre.
Quel(le.s) artiste(s) admirez vous ? D’où tirez-vous votre inspiration ?
C’est une question complexe… J’ai toujours admiré le sens de l’arrangement et l’utilisation de la pierre chez Constantin Brancusi, tout comme la capacité de Mondrian à dissimuler le processus corporel dans ses travaux, ou encore la manière avec laquelle Amy Brener traite le futur dystopien d’un point de vue féministe. J’admire Elina Vainio pour sa façon délicate et sensuelle de traiter de sujets parfois lourds, j’admire Sakari Tervo pour son exposition en ligne, qui rompt avec l’espace traditionnel d’exposition, et j’admire les travaux de mon mari Jussi Niskanen, dans lesquels la peinture à l’huile met en exergue l’essence même de ses tableaux. La liste pourrait s’allonger indéfiniment. Mais je trouve aussi l’inspiration dans les choses de la vie courante, comme dans les livres que je lis, dans les images que je vois sur mon ordinateur, chez mes proches et dans les discussions que j’ai avec eux. Aussi niais que cela puisse paraître, je m’inspire de ma propre vie, de choses que j’observe, qui m’entourent.
Votre travail a dérivé graduellement du design vers les arts plastiques au cours des années. Comment selon vous, ces deux champs sont-ils imbriqués l’un dans l’autre en Finlande ?
Oui, c’est plus ou moins vrai : c’est visible concrètement, dans la mesure où nous avons en Finlande des galeries qui exposent consciemment art et design l’un à côté de l’autre (comme Lokal), des entreprises qui présentent de l’art avec leurs produits de design (Artek), et aussi “Taikki”, l’université dans laquelle il était possible d’étudier les bases de la création artistique dans n’importe quel parcours académique (avant que cette facultée ne soit avalée par l’Université Aalto). D’un autre point de vue, j’ai entendu dire qu’une personne qui sort diplômée d’une école de design ou de création ne peut se considérer comme étant artiste, ou bien encore qu’en Finlande, malgré un long passif avec le design, et bien que le design lui-même ne soit inspiré des arts plastiques, les deux champs ne puissent pas tout à fait être mélangés.
Qu’avez-vous prévu pour le reste de l’année ? Quel serait le projet de vos rêves ?
En ce moment je travaille à l’élaboration d’une exposition privée, qui sera accompagnée d’un projet de livre en collaboration avec Emma Sarpaniemi. J’essaie de me laisser le plus de temps possible dans l’année, afin pour une fois, d’avoir le temps de me concentrer sur la recherche et la sculpture ; je veux par ailleurs apprendre à maîtriser de nouveaux matériaux. Mon projet de rêve serait sûrement quelque chose dans lequel la pression externe serait au plus bas, peu importe ce que cela veut dire.