Installée à Helsinki, l’artiste textile Melissa Sammalvaara modernise l’art du ryijy, tapisserie finlandaise traditionnelle tissée à la main. Son œuvre la plus récente, Tuohi (“écorce de bouleau” en finnois), est une commande de l’Institut finlandais pour l’exposition Écoutons la forêt pousser présentée à l’Institut jusqu’au 30 juillet 2022.

Après nous avoir présenté son parcours et sa philosophie dans un premier entretien, l’artiste nous dévoile maintenant les détails de fabrication d’un ryijy, de l’idée initiale au résultat final.

 

Comment décririez-vous un ryijy ?

Le ryijy est un type de tapisserie traditionnel que l’on fabrique en laine, au métier à tisser et que l’on accroche au mur. Les ryijys traditionnels présentent des motifs spécifiques et sont composés de fils noués dont les bouts sont coupés à la même longueur. Les fils habituellement utilisés pour les ryijys sont souvent en laine et plus épais que ceux que j’utilise pour mon travail.

J’ai très rapidement trouvé mon propre style et donc seulement fait quelques ryijys dans le style traditionnel. Parfois je suis un peu inquiète de ce que les gens pensent de mes travaux, il s’agit d’une interprétation si moderne d’une technique ancienne, et fabriquée à la main plutôt que sur un métier à tisser. 

 

Comment décririez-vous votre processus ? Comment vos idées émergent-elles et quelles sont les différentes phases de votre travail ?

 

Développer l’idée

Mes idées émergent de différents endroits et situations. L’inspiration vient plus facilement quand je ne suis pas pressée. Quand je promène mon chien par exemple, je peux voir de belles branches, de la mousse ou du lichen qui m’inspirent. De même, il peut s’agir d’une combinaison de couleurs ou d’une texture intéressante, ou d’un thème plus global ou d’un article qui déclenche l’inspiration. Je prends une photo de ce qui attire mon attention , et ces photos documentent les inspirations initiales de futurs projets. 

J’essaye rarement de créer des répliques de ce que j’ai vu dans la nature, mais c’est important que les photos traduisent l’atmosphère et le sentiment dont j’ai fait l’expérience à ce moment précis, pour ensuite le partager avec les autres à travers mon travail. J’utilise un carnet où j’écris et je développe mes idées. Certaines idées nécessitent plus de temps que d’autres pour prendre forme. 

Mon expérience en architecture d’intérieur m’a aidé dans la conception des ryijys, particulièrement pour les dimensions. Mes design textile affectent ma manière de planifier et de monter des expositions. Je suis douée pour gérer des ensembles, et il est très naturel pour moi de travailler sur un projet composé de différents éléments.  

Quand je fais un croquis de ryijy, je décide de quelle taille je veux que le produit final soit et j’essaye de trouver un filet à la bonne taille. Normalement, après avoir coupé le filet aux mesures exactes et taillé les bords, je n’ajuste plus les dimensions. Cependant, j’ajoute parfois quelque chose, comme des parties faites au crochet. En ce moment, je travaille sur un projet avec des détails en céramique. 

 

La laine

L’étape suivante consiste à passer en revue mon grand stock de matériaux avec l’objectif de les combiner pour trouver la teinte parfaite. Si je ne trouve pas les bons fils, il est temps d’aller faire des achats de seconde-main. 

Après ça, je commence à penser à des manières d’arranger les couleurs. Parfois j’ai besoin de prendre des pauses pour nettoyer, car la laine s’emmêle facilement. Je ne suis pas la personne la plus ordonnée, et parfois c’est le chaos dans mon studio. Je travaillais avant dans un espace de 8m2 à la maison, mais heureusement j’ai récemment obtenu un studio de travail de 48m2 dans l’est d’Helsinki, sinon il aurait été impossible de tisser l’œuvre de  6m2 pour l’Institut. Dans mon ancien espace de travail, il arrivait souvent que la laine tombe des étagères sur moi pendant que je travaillais. Aujourd’hui, à la fin d’une journée de travail, c’est agréable de pouvoir fermer la porte de son studio et laisser le projet jusqu’au lendemain. 

J’utilise parfois des matériaux neufs, mais dans ce cas j’essaye de choisir des fibres locales, naturelles et de bonne qualité. Utiliser des matériaux recyclés est un choix que j’ai fait consciemment, en acceptant de ne pas toujours trouver exactement ce que je cherche. Parfois, je trouve des matériaux qui pourraient correspondre à un autre projet plutôt qu’à celui en cours. Le processus de recherche de matériaux de seconde-main est très gratifiant quand je trouve un matériau qui correspond parfaitement à mon idée de base. Ce que je préfère en utilisant de la laine recyclée est l’idée de créer quelque chose de nouveau à partir de quelque chose que les autres ont jugé inutile. Après avoir acheté la laine, je les mets au congélateur au moins une journée, une étape laborieuse mais cruciale. 

J’ai aussi plusieurs fois teint la laine moi-même, quelque chose que je continuerai sûrement à l’avenir. Teindre prend beaucoup de temps, les délais pour ce projet étaient donc trop courts pour le faire. 

 

Tisser

Je tisse les ryijys de nombreuses manières différentes et choisis la technique en fonction du projet. J’ai tendance à utiliser un filet comme base, car contrairement au métier à tisser, il permet de travailler d’une manière non linéaire. Le filet est seulement visible à l’arrière de l’œuvre, donc cela n’affecte pas vraiment le résultat final.

J’ai acheté la laine que j’ai utilisée pour Tuohi dans un centre de recyclage et j’ai combiné les différentes laines en un fil multicolore à l’aide d’un guindre. Si j’avais utilisé les laines séparément, la texture du ryijy aurait été bien plus fine et moins duveteuse. 

Pour Tuohi, j’ai utilisé différents types de laine achetés aux puces et dans des boutiques de seconde-main à Helsinki. C’était un réel défi de trouver assez de laine dans les bonnes couleurs, et me procurer tout le matériel dont j’avais besoin a demandé beaucoup d’efforts. 

Après avoir trouvé les matériaux, j’ai combiné différents types de laine ensemble avec un guindre pour obtenir plus d’épaisseur ainsi qu’une variation dans les tons. Bien qu’on ne puisse pas nécessairement discerner toutes les nuances de laine utilisées, la bonne utilisation des couleurs sur les différentes parties du design a été importante pour obtenir le résultat envisagé. Je préfère aussi que la longueur des fils varie sur mes œuvres, contrairement aux ryijys traditionnels sur lesquels les rangées horizontales de fils sont clairement définies. 

 

Touches finales 

Une fois le tissage fini, je repasse tous les nœuds à l’arrière avec un défroisseur à vapeur pour les resserrer et les maintenir en place. Certaines fibres ne se plient pas facilement et la vapeur aide à les maîtriser. Pour finir, je repasse toute la face avant du ryijy à la vapeur et le peigne minutieusement pour lui donner un aspect raffiné. 

 

Tuohi est exposé dans le Café Maa de l’Institut, ouvert de 11h à 18h du mardi au samedi. L’exposition Écoutons la forêt pousser est présentée jusqu’au 30 juillet 2022 à l’Institut finlandais.