Installée à Helsinki, l’artiste textile Melissa Sammalvaara modernise l’art du ryijy, tapisserie finlandaise traditionnelle tissée à la main. Son œuvre la plus récente, Tuohi (“écorce de bouleau” en finnois), est une commande de l’Institut finlandais pour l’exposition Écoutons la forêt pousser en ce moment présentée à l’Institut.

Lors de l’installation de l’exposition, nous avons eu la chance d’interviewer Melissa sur sa pratique artistique et sur le processus de création de sa plus grande œuvre à ce jour.

 

Quand et comment avez-vous commencé à faire des ryijys ? 

J’ai toujours aimé les travaux manuels. J’ai notamment été intéressée par la joaillerie, puis par le tricot. J’ai commencé mes études à l’Université Aalto en licence d’architecture d’intérieur et de conception de meubles, puis j’ai poursuivi en master dans le même domaine.

Pendant mes études, j’ai suivi beaucoup de différents cours d’art en option, de la céramique à la photographie. Ceux de design textile étaient mes préférés. Je me suis passionnée pour la création de motifs et le travail avec les tissus et les couleurs, ce qui contrastait avec le style minimaliste de la formation en architecture d’intérieur et conception de meubles. J’ai rapidement décidé de me réorienter dans le parcours Mode, Habits et Design Textile, et c’est là que je me suis intéressé au tissage.

J’ai fabriqué mon premier ryijy en cours de textile, une très petite pièce que j’ai appelée Naava (Usnée). Aujourd’hui encore c’est une de mes pièces préférées, et je trouve qu’elle partage quelques similarités avec Tuohi. Bien que tout le monde dans ma classe menait toutes sortes de projets fous, trouver de l’aide pour le tissage a été difficile. J’avais l’impression de devoir insister sur mon désir d’apprendre cette technique, et de devoir justifier pourquoi je voulais faire quelque chose de si fastidieux. Je vois la lenteur du processus de tissage d’une manière positive, cela demande de la concentration et c’est très méditatif.

J’ai été diplômée du parcours Mode, Habits et Design Textile de l’Université Aalto en 2019, juste avant le début de la pandémie. Les mois qui ont suivi ont été l’opportunité parfaite pour prendre le temps de réfléchir sur ce que j’aimerais faire et pour laisser ma pratique actuelle prendre forme.

 

Quel a été le processus de fabrication de Tuohi pour l’Institut finlandais ?

Tuohi est mon plus grand travail à ce jour. Il s’inspire de l’écorce de bouleau. J’ai été contactée par Johanna [Råman], la directrice de l’Institut finlandais qui m’a demandé si j’aimerais faire une œuvre pour l’Institut finlandais. Cette demande m’a rendue très enthousiaste et j’ai pensé qu’il s’agirait d’un merveilleux projet. Je connaissais déjà l’Institut, mais ne l’avais jamais visité. Nous avons commencé à discuter du projet plus en détail, j’ai montré des photos de référence que j’avais prises et des croquis que j’avais dessinés.

Toutes mes propositions étaient d’une manière ou d’une autre liées à la nature, et ensemble nous sommes arrivés à la conclusion que Tuohi était la bonne. J’étais très heureuse, car il s’agissait aussi de ma préférée. Cette œuvre est née du dialogue que j’ai eu avec l’Institut, et je l’ai imaginée pour être à la fois en accord avec le thème de la nouvelle exposition Écoutons la forêt pousser et l’espace de l’Institut. Comme l’Institut présente la culture finlandaise à Paris, je trouvais qu’apporter un bout de forêt finlandaise au mur de la grande salle était juste ce qu’il fallait.

J’ai utilisé différents types de laine pour Tuohi, tous achetés dans des marchés aux puces ou des boutiques de seconde main à Helsinki. C’était un défi de trouver assez de laine dans les bonnes couleurs, et trouver le matériel dont j’avais besoin a demandé beaucoup d’efforts. Après avoir trouvé les matériaux, j’ai ensuite combiné différents types de laine avec un guindre pour obtenir un léger volume ainsi que des variations de ton. Bien qu’on ne puisse pas nécessairement distinguer toutes les nuances de laine composant l’œuvre finale, il était très important pour moi de bien utiliser les couleurs sur les différentes parties du design pour obtenir le résultat prévu.

Néanmoins, le processus a été assez fluide, et je n’ai pas rencontré d’obstacles ou d’adversités. Parfois, un projet évolue d’une manière complètement différente de l’idée originelle, mais cette fois-ci l’idée est restée la même tout au long du processus. Je suis très contente du résultat et je pense que l’œuvre résonne avec son environnement comme je l’avais imaginé.

 

Votre art examine la relation des humains à la nature aujourd’hui. Comment voyez-vous cette relation ? Quelles pensées avez-vous envie d’évoquer à travers vos œuvres ?

Je trouve que les gens se sont aliénés la nature en étant constamment baignés dans la pensée productiviste et la production de masse. De moins en moins de choses sont faites à la main, même si les loisirs créatifs redeviennent à la mode en ce moment. La surcharge d’informations et d’images nous rend incapables de nous concentrer sur quelque chose. La culture du jetable est présente dans tous les aspects de nos vies. En travaillant le textile, la question de la durabilité est particulièrement importante. Je me demande souvent : existe-t-il un moyen d’empêcher la destruction de notre planète ?

Ralentir et me concentrer sur ce que je fais est très important pour moi. Je passe beaucoup de temps dans la nature, et j’ai toujours aimé me balader dans la forêt depuis l’enfance. Pourtant, être dans la nature ne se limite pas aux forêts et aux buissons. Ici à Paris, quand je regarde par ma fenêtre, je vois des vignes qui poussent sur les façades des bâtiments et de la mousse qui recouvre les fondations en pierre des bâtiments. Les gens ont de très beaux balcons remplis de merveilleuses plantes. La ville a de très beaux parcs, bien qu’ils soient aménagés et non naturels. L’environnement construit par l’homme n’est pas une île, et je pense qu’il est impossible de se séparer complètement de la nature, elle est toujours présente d’une manière ou d’une autre.

En utilisant des matériaux recyclés, je veux promouvoir l’idée que faire des choses nouvelles ne nécessite pas forcément de nouveaux matériaux. Pourquoi ne pas utiliser des matériaux préexistants ? À travers mon travail, je veux communiquer à quel point il est important de préserver la diversité de la nature. Tisser des tapisseries est mon acte d’objection à la société du jetable, l’accélération constante du rythme de nos vies, et la prévalence de la productivité sur tout le reste.

Avec Tuohi, j’ai intentionnellement joué avec les dimensions, en zoomant sur quelque chose qui n’est pas facilement visible dans la nature. En tant qu’êtres humains, nous avons souvent tendance à considérer que l’échelle à laquelle nous percevons les choses est la norme. Pourtant, même dans la plus petite surface de mousse, il y a beaucoup de vie à découvrir. Nous oublions souvent que ces petits organismes que nous ne pouvons pas voir à l’œil nu participent tous au fonctionnement de notre écosystème. À travers mon travail, je souhaite inviter cette partie inaperçue de la nature chez les gens et dans les espaces d’exposition.

 

Avez-vous des nouveaux projets que vous aimeriez partager avec nous ?

Un de mes prochains projets concerne les pollinisateurs, pour lequel j’utilise une technique de broderie. Cela fait partie d’un plus grand thème sur lequel je travaille, l’idée est de créer des installations spatiales avec des tapisseries. Un autre projet que j’ai en tête est d’expérimenter avec le capitonnage, une technique de ryijy moderne réalisée avec une machine spéciale.

Cet été, je vais à Åland pour une résidence artistique de deux mois. Mon travail sera également bientôt exposé dans quelques expositions à Tampere, Helsinki et Kumlinge à Åland dans le cadre de ma résidence.

 

Tuohi est exposé dans le Café Maa de l’Institut, ouvert de 11h à 18h du mardi au samedi. L’exposition Écoutons la forêt pousser est présentée jusqu’au 30 juillet 2022 à l’Institut finlandais.