Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec les artistes Aapo Nikkanen et Léa Domingues concernant notamment leur nouveau projet qui se nomme HAVE/NEED, dans le cadre du programme Together Again initié par les instituts culturels et académiques finlandais situés un peu partout dans le monde. Dans leur projet pluridisciplinaire, Nikkanen et Domingues approfondissent les problèmes qui peuvent exister au sein de l’industrie de la mode à travers des discussions, des workshops et des œuvres.

 

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours?

Léa : J’ai une expérience dans le stylisme, j’ai toujours été intéressée par la narration visuelle et l’aspect théorique et social que pouvait avoir la mode. À la suite de mes études, j’ai pris la décision de déménager à Londres. C’est à Londres que j’ai débuté mon stage avec Faustine Steinmetz, qui était ma styliste préférée en ce temps. Nous nous sommes rapidement bien entendues alors elle m’a demandé de rester plus longtemps et ainsi de travailler en tant que sa première assistante. 

J’ai travaillé avec elle durant deux ans, c’était très créatif et j’ai pu en apprendre beaucoup à ses côtés. De retour à Paris, j’ai rejoint l’équipe de The Community Paris en tant qu’assistante. Cette période a été propice à l’ouverture de mon esprit, c’est un lieu où j’ai pu découvrir que mes compétences pouvaient être utilisées de diverses façons.

Les premiers locaux de The Community Paris ont fermé, j’ai donc postulé pour un poste de styliste et travailler aux côtés de Marine Serre. Lors de notre entretien, elle a suggéré que je travaille avec une idée de conscience écologique (la ligne verte). Ce fut une opportunité très excitante le fait que ce poste soit inventé.Évidemment que j’ai accepté la proposition et j’ai commencé à exercer en débutant la collection automne-hiver 2019. J’ai consacré tout mon temps à l’achat et la recherche pour le développement et la production de matériaux recyclés. C’était un immense défi, mais petit à petit nous avons construit l’équipe ainsi que le processus qui s’ensuit.

Après deux ans, je voulais retourner à une pratique pluridisciplinaire, c’est alors que je me suis lancé en freelance. J’ai conservé la mission d’achat et la stratégie de recyclage à l’identique des précédentes missions qui m’étaient confiées chez Marine Serre et j’ai commencé à me pencher sur mes projets personnels. Peu après, j’ai entrepris des lectures dans les écoles de mode et mis en place des projets culturels avec les enfants. J’ai exercé comme ceci durant quelques années, en alternant entre freelance, projets personnels et éducation.

Aapo : J’ai été diplômé des beaux-arts à l’Université de Tampere, HEAD à Genève et à l’institut Sandberg à Amsterdam. J’ai travaillé comme artiste visuel durant 10 ans et vécu la majorité du temps à Paris. Ma pratique artistique associe des œuvres pluridisciplinaires et immersives qui mélangent mes observations personnelles à mes recherches sur divers sujets très variés. Je suis particulièrement intéressé d’une part par la façon dont la consommation, la mode, l’art, la psychologie, la culture en ligne et la crise environnemental sont interconnectés, et d’autre part par le nombre de différentes combinaisons qu’il est possible de créer.

Je pense que ma profession d’artiste est quelque chose qui peut s’étendre considérablement, au-delà du travail en atelier et d’expositions d’objets d’art. Il peut inclure la production d’œuvres participatives, l’organisation créative, l’enseignement, l’écriture, la recherche, la collaboration et être un facilitateur.

 

Comment vous êtes-vous rencontrés? Et comment avez-vous commencé à travailler ensemble?

Léa : Nous nous sommes rencontrés à The Community Paris lorsque j’étais assistante. La première fois que nous avons travaillé ensemble c’était lors de l’exposition à Londres. Quelques jours après, nous en avions une seconde à Marseille, c’est dans le train du retour à Paris qu’Aapo a eu l’idée de notre collaboration sur une série de tee-shirts. Cette série se nommait “Common Surgeries”.

 

“Je pense que la mode est un sujet intéressant et HAVE/NEED est une bonne opportunité pour se questionner et discuter à propos des évolutions au sein de l’environnement de la mode.”

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre projet HAVE/NEED et quelle a été votre source d’inspiration?

Aapo : J’ai eu une subvention de l’Institut Finlandais pendant le confinement  du COVID, par le biais du program Together Alone, durant lequel j’ai réalisé des recherches sur les problèmes écologiques dans l’industrie de la mode et du vêtement. Même si cette subvention n’avait pas pour but de produire quelque chose de physique, à terme j’ai tout de même réalisé une exposition, une publication et un workshop basés sur les résultats de mes recherches destinés aux stylistes. L’atelier a été le plus révélateur pour moi car il a mis mes compétences en tant qu’artiste dans un contexte différent et elles se sont avérées être très utiles ! Léa était l’une des participantes de l’atelier, et depuis, je n’ai cessé de penser qu’il serait incroyable de consacrer du temps à l’approfondissement de ce sujet. Alors lorsque l’Institut finlandais m’a contacté dans l’objectif de développer un projet dans le cadre du programme Together Again, j’ai proposé à Léa qu’on fasse équipe et crée quelque chose.

Léa : Le projet est basé sur les recherches. C’est la raison pour laquelle j’ai tout de suite été intéressée lorsque Aapo m’a demandé si je serai d’accord de collaborer avec lui. Lorsqu’on est amené à exercer dans la mode, les opportunités où l’on peut utiliser notre temps aux recherches est extrêmement rare. Je pense que la mode est un sujet intéressant et HAVE/NEED est une bonne opportunité pour se questionner et discuter à propos des évolutions au sein de l’environnement de la mode.

 

Pouvez-vous nous partager le processus de création du projet, de l’idée initiale au résultat final?

Aapo : Nous avons commencé avec l’idée de développer des workshops, mais avant tout comment/quoi et qui, c’est alors que les recherches ont très rapidement révélé le sujet principal qui a ensuite donné vie à notre projet actuel. Notre principal outil est l’entrevue,  c’est très excitant d’échanger et de développer des idées basées sur ce que nous apprenons de différentes personnes. Nous avons, et continuons de développer différentes parties du projet, telles que des ateliers, des recherches, des publications, des événements et des œuvres d’art. Certains d’entre eux culminent à certains moments comme le forum HAVE/NEED à Paris en juin 2023, et d’autres se poursuivent jusqu’à nouvel ordre, comme la recherche. Cela représente un véritable processus.

 

Quels conseils pourriez-vous donner aux artistes qui souhaitent réaliser un tel projet? 

Léa : Pour réaliser un travail de qualité, selon moi, une seule chose est nécessaire: rencontrer des gens et poser des questions. Les échanges sociaux peuvent être très riches. Bien sûr, il faut aussi beaucoup de temps pour réfléchir, digérer et comprendre toutes les discussions.

Aapo : Eh bien je suppose que la première chose est d’accepter que votre œuvre doit prendre la forme que la recherche dicte. Vous pourriez avoir à reconsidérer ce qui est une œuvre d’art aussi. Personnellement, je pense que par exemple l’événement que nous produisons est une œuvre d’art, mais quelqu’un pourrait ne pas être d’accord, alors il est probablement plus facile d’essayer de ne pas trop étiqueter les choses. En termes pratiques, il est facile d’approcher les gens pour des entrevues si vous avez défini votre sujet bien à l’avance car ils diront probablement oui ! Tout le processus prend probablement plus de temps que vous ne le pensez. Ne faites pas de suppositions. Appréciez le fait que les gens prennent le temps de vous parler, et si vous pouvez trouver quelque chose à leur transmettre à votre tour, faites-le ! Et soyez prêt à envoyer beaucoup de courriels…