L’exposition collective Middle Sea, qui s’ouvre en septembre, présente les œuvres de l’artiste finno-tunisienne Dora Dalila Cheffi et de la marque de mode ÉLBÈ. Nous avons discuté avec Dora Dalila Cheffi de son travail et de la mise en œuvre de ce projet collaboratif.

Avant de déménager à Tunis il y a deux ans, tu as passé la plus grande partie de ta vie en Finlande, exceptés des étés à Sfax, la ville d’origine de ton père tunisien. Tu as affirmé qu’aujourd’hui, au lieu d’observer les différences entre les deux cultures finlandaise et tunisienne, tu essaies de laisser aller ton idée pour te concentrer davantage sur leurs points communs. Dirais-tu qu’il y a eu un changement dans ton travail et qu’il reflète en quelque sorte ce changement d’état d’esprit ?

Je pense qu’il y a constamment des variations dans mon travail car il évolue en même temps que mon état d’esprit. Comme je passe plus de temps en Tunisie, j’arrive à mieux comprendre, à suivre le fil qui lie ces lieux à la Finlande, à moi et à d’autres endroits encore. La distance qui existait en moi s’amenuise au fur et à mesure, je peux créer à partir de ce thème et le connecter avec d’autres sujets devenus importants à mes yeux. Je crois que cela se reflètera toujours dans mon travail car cela affecte ma façon de penser et de percevoir le monde autour de moi.

Dans l’exposition Middle Sea, présentée à l’Institut finlandais à partir de septembre 2020, les visiteurs pourront voir tes oeuvres mais aussi celles d’une marque méditerranéenne d’accessoires de mode, ÈLBÉ. Après nos premiers échanges, tu as décidé d’étendre l’invitation à tes contemporaines tunisiennes. Comment perçois-tu le travail d’ÈLBÉ ?

J’aime le fait qu’il s’agisse d’un couple de jeunes femmes qui conçoivent et produisent des pièces qui ont du sens pour elles. J’aime beaucoup leurs goûts et ce qu’elles font. Je pense aussi que c’est une bonne chose de se soutenir les uns et les autres. Même si ce que nous faisons est très différent – créer des accessoires et créer des oeuvres d’art -, nous avons un état d’esprit similaire, c’est-à-dire que nous réalisons elles et moi une production qui reflète le mélange de nos propres cultures et desquelles nous nous inspirons.

Photographie : Aurélien Mole

Pour l’exposition, vous avez travaillé sur un foulard collaboratif. Comment s’est passé le dialogue qui a conduit à votre processus de création ?

Cela s’est fait facilement, on s’est rapidement fait confiance. Nous avons parlé du sens et de l’émotion que nous voulions convoquer à l’occasion de cette collaboration. Il y a eu une compréhension mutuelle qui a facilité le dialogue, nous avons su naturellement ce que nous voulions elles et moi.

Il semble que la scène créative tunisienne soit actuellement en train de vivre une période particulièrement stimulante sur le plan de la création. Les jeunes artistes comme toi ne sont plus découragés par le manque d’institutions officielles d’art ou d’espaces d’exposition, c’est même l’inverse : par exemple, tu as décidé d’organiser de façon indépendante, avec l’aide de tes amis, l’exposition Bitter Oranges plus tôt cette année. Comment as-tu vécu cette expérience ? Quels ont été les retours de tes visiteurs ?

L’expérience s’est déroulée mieux que je ne l’espérais, même si bien sûr cela représentait beaucoup de travail, nécessitait de lever des fonds de toute part et de demander des contributions de la part de différents artistes et acteurs de la scène culturelle de Tunis. Je crois qu’il y a une solidarité et un sens de la communauté qui résultent du manque d’institutions évoqués. C’était touchant de voir de nombreux étudiants en art venir à l’exposition et d’accueillir un nouveau public, celui que je ne vois pas d’ordinaire dans les galeries.

Quels sont tes lieux favoris à Tunis ?

Il y en a tellement ! Si on se concentre uniquement sur Tunis sans parler des alentours de la ville, j’adore aller au restaurant avec mes amis, bien manger et parler des occupations de chacun.
J’aime aller à la plage et chez mes amis qui ont des piscines dans leurs jardins ! J’adore aussi me promener dans le centre-ville et aller chiner dans les friperies.

Tu travailles principalement sur des peintures et ton langage pictural se caractérise souvent par une esthétique enfantine que l’on retrouve dans la composition, les couleurs et les formes. Au-delà de tes observations quotidiennes et de ta vie à Tunis, où puises-tu ton inspiration ? Y-a-t’il des peintres que tu affectionnes particulièrement ?

Récemment je me suis concentrée sur la peinture en tant que médium, mais j’ai toujours aimé trouver de nouvelles façons de créer et de tester différents matériaux dans mon travail. La photographie est la base de tout ce que je peins, elle est un point de départ particulièrement important pour moi. Parmi mes peintres préférés, je pense à Alice Neel, à Alex Ayed, même s’il n’est pas peintre, j’apprécie énormément son travail car il utilise avec une grande variété de matériaux, du savon au marbre.

Photographie : Aurélien Mole

En plus des peintures, tu travailles souvent sur des sculptures, notamment des céramiques. Dans l’exposition Middle Sea, tu nous feras découvrir certaines de tes céramiques créées dans la tradition des techniques de modelage de l’argile et de la poterie berbères. En janvier 2020, tu as passé une semaine à Sejnane, en Tunisie, pour apprendre ces techniques artisanales avec des habitantes de cette ville. Ce séjour a été filmé dans le cadre d’un projet de vidéo طريق présentée dans l’exposition. Quel est le souvenir le plus important que tu gardes de cette expérience ?

Même si une semaine ne représente qu’une courte durée, aller à Sejnane m’a permis d’apprendre les bases de ces traditions et de comprendre comment elles perdurent. Je voulais seulement apprendre cela, pour moi la part la plus importante de cette expérience était précisément la possibilité d’avoir accès à cet apprentissage. Notre hôtesse, Monjia, était très généreuse et accueillante, elle m’a tout enseignée et m’a conseillée sur la composition des oeuvres tout au long de la semaine.

Quels sont tes rêves pour le futur proche ?

À mon retour de Paris, je vais me remettre au travail. Je suis en train de développer un nouveau projet sur la féminité dans le contexte de la culture tunisienne, ce qui nécessite de nombreuses recherches, donc j’ai hâte de me mettre à travailler sur ce projet. J’ai l’intention de créer un ensemble d’oeuvres modulables et d’étudier la richesse des ressources naturelles de la Tunisie pour créer des oeuvres avec des objets qui ne sont pas accessibles en Finlande et dans d’autres régions de l’Occident.