Guide (1987) de Nils Gaup est le premier long métrage en langue sami de l’histoire du cinéma et un classique incontesté du cinéma sami. Nommé pour un Oscar du meilleur film étranger, Guide était un précurseur rien qu’en raison de son équipe de production : les acteurs principaux, le réalisateur et le scénariste étaient tous sami et la musique du film fut composée par Nils-Aslak Valkeapää, le maître du joïk, le chant traditionnel sami. Dix ans après Guide, la comédie dramatique Ministre d’Etat de Paul-Anders Simma est également devenue rapidement un classique. Pourtant, malgré ces films cultes, il manquait son propre forum au cinéma sami. Ce vide a été comblé peu après par le festival de cinéma Skábmagovat ou ‘L’image de la nuit infinie’, dont l’histoire ressemble à celle du duodji, l’artisanat sami : il est né de la nécessité. « A l’époque nous manquions d’espaces pour les séances, donc nous avons monté une salle de cinéma entièrement construite en neige devant le Musée sami et le Centre de la nature, Siida», raconte Sunna Nousuniemi en souriant.
Originaire d’Inari, Sunna Nousuniemi dirige le Skábmagovat festival depuis 2018. Festival de cinéma des peuples indigènes, Skábmagovat est le premier festival du cinéma sami du monde. Au petit village d’Inari, pendant les froids et sombres mois de kaamos, ou la nuit polaire, le festival attire environ 5000 amateurs de cinéma sami, finlandais comme étrangers.
A l’époque, le désir était aussi fort que le besoin pour créer son propre forum au cinéma sami. « Skábmagovat n’est pas seulement un festival de cinéma ; notre mission comporte de multiples facettes, » ajoute tout de suite Sunna. « Nous offrons des bains linguistiques de langue sami et un environnement sûr dans lequel les Samis peuvent regarder des films dans leur propre langue et se réapproprier leur culture. Les films de notre programme présentent des voix qui n’ont pas été entendues et des histoires qui n’ont pas été racontées – pour une raison ou une autre. A travers l’art nous pouvons accéder à des expériences douloureuses dans la mémoire collective et soigner les plaies de la communauté. »
Les films de notre programme présentent des voix qui n’ont pas été entendues et des histoires qui n’ont pas été racontées – pour une raison ou autre. A travers l’art nous pouvons accéder à des expériences douloureuses dans la mémoire collective et soigner les plaies de la communauté.
Outre les films, les discussions sont une partie importante du festival. « Il est important d’offrir un environnement où les spectateurs peuvent discuter des événements et des thèmes de ces films, car ils peuvent être traumatisants pour les gens. » Sunna cite Sami, une jeunesse en Laponie d’Amanda Kernell (2017), qui traite des évaluations raciales que les Sámis ont subies dans les années 1930. « Il est valorisant de voir sur l’écran des personnages auxquels on peut s’identifier, mais cela peut aussi rouvrir des plaies profondes. » Outre la programmation cinématographique, l’équipe du festival fait un travail linguistique important en traduisant et sous-titrant les films en finnois. « Il est capital qu’on trouve des films sous-titrés en finnois, car beaucoup de Samis ont perdu leur langue maternelle originale. »
Ensuite, nous passons aux structures du cinéma en général, qui manquent de diversité des voix exprimées. Sunna soulève le problème du financement des cinéastes issus des minorités. L’institut international du cinéma sami (International Sami Film Institute ISFI), qui se trouve à Kautokeino, Norvège, joue un rôle pratiquement indispensable en tant que source de financement des films samis, s’ajoutant aux fonds qui viennent des institutions d’Etat tels que la Finnish Film Foundation et Yle, la Radiodiffusion-télévision finlandaise. En plus de son poste de directrice de Skábmagovat, Sunna travaille comme coordinatrice des projets à ISFI. « Nous développons des programmes de cinéma sami pour des festivals, par exemple, et offrons de l’information sur le cinéma sami. Nous organisons de 10 à 15 séances par an. » Grâce à ISFI il y a de plus en plus de films samis dans des programmes, et le cinéma sami a pu se développer. « Avant il était relativement difficile de trouver des films sami, alors que maintenant il y a une compétition entre nous et les autres festivals sur des films samis. Evidemment, c’est une chose très positive ! »
La création de ISFI coïncide avec un moment décisif du cinéma sami au début des années 2010. En 2013 ISFI a lancé un projet nommé « Sept histoires samis », qui consistait en sept courts métrages samis. « Ce projet a inclus notamment des jeunes cinéastes émergents de la nouvelle génération, et on peut dire qu’il a inauguré la nouvelle vague du cinéma sami. Parmi les sept films il y a eu des narrations plutôt contemporaines – des histoires jusqu’alors inouïes et jamais racontées sur le passé, sur l’amour, sur l’adolescence et sur des suicides – une grande variété de sujets traités avec des techniques narratives modernes. Je pense que ce serait superbe si cet ensemble était montré dans les écoles, par exemple. »
Festival Skábmagovat
– Le festival du cinéma indigène Skábmagovat sera organisé pour la 22 ème fois du 23 au 26 janvier 2020 à Inari. Le festival se déroulera à Sajos, dans le centre culturel sami, le musée sami et le Centre de la nature Siida, ainsi que dans le Théâtre des lumières nordiques de Skabmagovat, construit de neige.
– Skábmagovat est le premier festival du cinéma sami dans le monde, et compte parmi les festivals du cinéma indigène les plus anciens. En vingt ans le festival a projeté des films de nombreux peuples indigènes petits et grands, et dans plus de 90 langues différentes. Outre son programme cinématographique, le festival organise des clubs et des discussions liés au programme.
– Le directeur artistique de Skábmagovat est M. Jorma Lehto et la productrice Mme Taru Arrela. Après cet entretien Sunna Nousuniemi a quitté son poste de directrice.
– Skábmagovat est organisé par l’Association Friends of Sámi Arts en collaboration avec Sajos, le Centre culturel sami ; Siida, le Musée sami et le Centre de la nature ; L’institut d’éducation sami et Skábma, le Centre du cinéma.
Skábmagovat a participé à la construction du programme cinématographique de l’Institut finlandais.