Tous les mois, l’Institut finlandais met en lumière des personnes dont le travail marque la Finlande et la France d’aujourd’hui. Au mois de novembre, nous avons partagé un moment avec Pentti Sammallahti, un photographe finlandais dont l’oeuvre en noir et blanc propose des rencontres, toujours intimes et précieuses.
A l’occasion du Paris Photo, Pentti Sammallahti sera présent à Paris pour présenter son travail ainsi que sa nouvelle monographie « Des Oiseaux » qui vient de paraître chez les Éditions Xavier Barral -EXB. Vous pourrez également retrouver des clichés de Sammallahti à la galerie Camera Obscura jusqu’au 29 décembre 2018 ou encore à la Maison de la photographie Robert Doisneau où une rétrospective de l’oeuvre de l’artiste est proposée jusqu’au 13 janvier 2019.
Vous jouez souvent avec les binômes dans votre oeuvre : la mélancolie et l’humour, l’instantanéité et l’intemporalité, l’intimité et l’anonymat. Autre élément essentiel : le silence. Il trouve toujours sa place, peu importe le contexte ou la décennie. Où se situe-t-il votre paysage spirituel ? Vous sentez-vous chez vous en centre-ville ou plutôt au milieu de la nature ?
J’aime bien être dans la tranquillité et le calme, comme chacun d’entre nous.
Mon paysage spirituel se trouve peut-être dans les régions lointaines, là où j’ai la possibilité d’immortaliser la vie et les lieux en passe de disparaître. Souvent, les images gagnent de l’importance et de valeur avec le temps, du fait du caractère éphémère de ce qui nous entoure : le monde change, mais les images restent. Je ne suis pas nostalgique du temps passé, mais peut-être que mon lieu spirituel photographique possède ce caractère. Un grand compositeur moderniste finlandais, Aarre Merikanto, disait que « tout art est nostalgie ».
Vous avez constaté que la caractéristique la plus importante chez un photographe n’est pas l’imagination ou la créativité, mais le regard. Le plus important est de faire justice à ce que l’on voit. Vous avez commencé votre carrière très jeune puisque dès l’âge de treize ans, vous commencez à découvrir le monde à travers l’objectif. Comment avez-vous découvert l’univers de la photographie ?
L’imagination, associée à l’univers, ainsi que la dimension personnelle auront toujours une place importante dans l’Art. Mais, en tant que photographe, je suis surtout observateur : pour celui qui observe, le plus important est de garder les yeux ouverts. Le travail du photographe est un apprentissage constant : on affine notre regard sur les objets, la lumière… Cela nous permet de remarquer les plus petits détails, mais aussi de choisir le bon instant ou le bon cadrage.
Dans ma jeunesse, tout le monde faisait de la photographie, y compris mes amis et moi. C’est là que mon amour pour la photographie a commencé. Ma grand-mère était une photographe dans sa jeunesse. Au début du 20ème siècle, elle capturait des paysages de la Laponie finlandaise, mais aussi de la vie et du travail quotidien des gens qui y habitaient. Ces photos sont magnifiques et restent pour toujours ancrées dans ma mémoire. Malheureusement, ma grand-mère a dû quitter son travail et se consacrer à sa famille après s’être mariée, ce qui était typique à cette époque. C’est probablement grâce à ma grande-mère que la photographie était si appréciée dans ma famille, tout en étant considérée comme un art – ce qui n’était pas du tout courant dans les années 50 et 60. Mais ma famille m’a toujours soutenu dans mon hobby et plus tard, dans mon orientation professionnelle.
Helsinki est votre ville d’origine mais vous avez voyagé un peu partout dans le monde : Russie, Irlande, Maroc et bien d’autres. Cela se voit également dans votre œuvre : l’horizon change souvent dans vos images. Quelle destination a été la plus mémorable pour vous ?
Le monde m’attire et mes pensées voyagent.
Dès le moment où je me familiarise avec un paysage qui m’était jusqu’ici inconnu, je commence à photographier instantanément, malgré une certaine perplexité parfois. Je ne pense pas qu’un photographe doit connaître son objet avant de le « capturer ». Quand j’étais plus jeune, j’essayais d’apprendre un maximum sur ma nouvelle destination. Mais, j’ai remarqué que l’image devient plus intéressante quand la connaissance de l’objet est acquise par le regard. Les faits ne sont pas si importants.
Il m’est impossible de dire quelle destination ou voyage a été le plus mémorable. Cela pourrait aussi bien être la Sibérie et son ampleur infinie que mon propre jardin et ses corneilles.
Mais, en tant que photographe, je suis surtout observateur : pour celui qui observe, le plus important est de garder les yeux ouverts.
Vous avez travaillé pendant longtemps comme professeur à l’École supérieure d’art à Helsinki (Taideteollinen korkeakoulu, aujourd’hui Université Aalto). Comme professeur, vous mettiez l’accent sur la qualité du tirage et de l’impression des photographies. Pensez-vous que votre carrière d’enseignant a eu un effet sur votre carrière de photographe ?
Les professeurs doivent bien sûr partager leur savoir-faire et leurs connaissances aux étudiants, mais ce qui importe le plus c’est comment ils apprennent les uns des autres. Il est toujours question d’interaction dans laquelle le professeur peut aussi avoir un rôle d’étudiant. Je ne saurais pas estimer l’effet que ma carrière de professeur a eu sur ma carrière de photographe mais, le fait de travailler avec des personnes talentueuses et inspirantes au fil du temps a sûrement eu son importance.
Les mots « tranquillité », « ralentissement » et « recueillement » sont souvent utilisés pour caractériser votre œuvre : vos images donnent une alternative à la vie “pressée” d’aujourd’hui. Ce nouveau rythme de vie a-t-il eu un effet sur votre travail ? Votre façon de travailler et de regarder le monde a-t-elle changée au cours de ces cinquante années de carrière en tant que photographe ?
Je dirais qu’il s’agit d’une histoire plutôt typique. Quand j’étais jeune, il y avait une certaine rigueur – souvent indissociable de la jeunesse – présent dans mon travail. C’est cette même rigueur qui caractérisait presque toute ma vie…
Le temps amoindrit les obstacles que la vie peut amener et c’est la vie elle-même qui nous guide et nous enseigne continuellement. On doit accepter la réalité telle qu’elle se présente. Il faut savoir faire des concessions et surtout, faire de notre mieux avec ce que l’on nous donne.
En vieillissant, l’observation et les réactions diminuent,la vue se détériore et en parallèle, on devient de plus en plus paresseux, cherchant le confort. Néanmoins, en travaillant, nos savoir-faire augmentent grâce aux choses que l’on apprend quotidiennement. Avec l’expérience, on procède de manière différente, on arrive davantage à mettre de côté les choses inutiles pour la photographie et le tirage.
Sur vos images, le thème des rencontres revient souvent : les animaux et les êtres humains, ou bien la ville et la nature. Des chiens qui s’étirent ou des pigeons qui dorment sont des détails insignifiants mais auxquels vous attachez de l’importance et avec lesquels vous êtes capables de créer toute une histoire, en une seule image. Comment décririez-vous votre journée de rêve ?
Lorsque je photographie, la journée idéale est pour moi froide et pluvieuse, avec du vent. J’aime surtout la neige fondue. Pire est le temps, meilleure est la photo. Mais peut-être que je suis encore plus heureux lorsque je me retire dans la cave, dans ce petit placard humide avec plein d’odeurs de produits chimiques où, dans une lueur rouge, je peux secouer le plateau de développeurs et écouter le son venant de l’eau qui coule.