Tous les mois, l’Institut finlandais met en lumière des personnes dont le travail marque la Finlande et la France.
La Maison Louis Carré a été conçue par Alvar Aalto pour le galeriste et collectionneur Louis Carré et sa femme Olga en 1959. Unique oeuvre d’Alvar Aalto en France, cette remarquable villa est une oeuvre d’art totale qui comprend les bâtiments, le jardin, le mobilier et l’aménagement intérieur.
Ásdís Ólafsdóttir, la directrice de la Maison Louis Carré, nous invite en voyage pour découvrir l’univers d’Alvar Aalto, et partage l’histoire de la maison ainsi que sa vue sur le design nordique d’aujourd’hui.
Vous êtes à la direction de la Maison Louis Carré depuis son acquisition en 2006. Comment avez-vous fini par travailler avec Aalto et le design finlandais ? Quel est votre parcours ?
Je suis d’origine islandaise et je suis venue en France pour faire mes études en histoire de l’art. Ma thèse de doctorat portait sur le mobilier d’Alvar Aalto et la diffusion internationale du design, ce qui m’a amené à collaborer avec la Fondation Alvar Aalto et le Musée Alvar Aalto sur des projets divers.
Après le décès d’Olga Carré en 2002, la Maison Louis Carré était mise en vente par ses héritiers et j’ai eu plusieurs occasions de la visiter. J’ai effectué des recherches dans les archives et finalement, en 2006, la Fondation finlandaise pour la Culture (Finnish Cultural Foundation) a acquis la maison. Je faisais partie de l’équipe qui a effectué l’inventaire de son contenu, ainsi que l’élaboration de la stratégie d’ouverture au public.
Parlant de l’ouverture – il y a une ambiance très particulière à la maison suite à cette division entre le côté public et privé. Qui sont vos visiteurs ?
Notre tout premier visiteur était une Japonaise – les Japonais adorent Alvar Aalto ! Evidemment, il y a beaucoup d’architectes français qui viennent, et qui connaissent déjà bien Aalto. La villa est également une destination importante pour les étudiants en architecture : la circulation des espaces, l’utilisation des matériaux et les jeux de lumière y sont exemplaires.
Le fait d’avoir conservé les objets de tous les jours – livres, vêtements, tout le design d’origine – nous a aidé à garder l’intégrité, tout en contribuant au côté exceptionnel de la maison. Les objets aident à préserver l’âme du lieu – on a le sentiment que le bâtiment est toujours habité. Cela permet aux gens de percevoir le style de vie d’un couple aisé et cultivé dans les années cinquante et soixante.
Dans les pays nordiques, la maison c’est un lieu de vie. Là-bas, le design implique quelque chose de plus démocratique : une partie plus large de la société se permet d’avoir des meubles design.
Que diriez-vous sur les différences entre le design nordique et français, et surtout son rapport avec le public ?
En France, le design participe plus à la représentation. Pour les Français, l’idée d’une maison va au-delà de l’habitation : la réception des gens, avec une salle à manger et un salon, est très importante. Un certain statut s‘affiche à travers les objets, aussi parce que les meubles design coûtent assez cher. Si on s’intéresse au design, cela veut dire qu’on a un certain niveau culturel et matériel.
Dans les pays nordiques, la maison c’est un lieu de vie. Là-bas, le design implique quelque chose de plus démocratique : une partie plus large de la société se permet d’avoir des meubles design. La réception y est importante aussi, mais la maison est essentiellement un intérieur chaleureux pour soi-même – on y passe beaucoup de temps. Le design représente quelque chose de solide, qui dure dans le temps – ainsi on se permet plus aisément d’en acheter.
Néanmoins, je trouve que la situation est en train de changer aujourd’hui. En France, ce côté chaleureux et de confort est en train de s’installer, et les intérieurs français commencent à afficher des tendances nordiques, pas uniquement sur le plan esthétique mais aussi sur celui de la perception d’espace et de vie.
En Finlande, le poids historique d’Aalto et d’Artek est toujours omniprésent, et la scène de design est parfois critiquée pour ses problèmes de renouvellement. Que pensez-vous du design nordique d’aujourd’hui ?
Ce n’est jamais facile pour les jeunes designers d’être soumis à un passé trop glorieux. Je pense que cela vaut surtout pour les designers finlandais et danois. En même temps, c’est un bon défi pour la génération suivante – de se confronter avec le passé, pour pouvoir apporter leur propre vision et façon de faire. Actuellement, dans les pays nordiques, de nombreux jeunes designers sont très actifs. D’ailleurs, ce monde s’est beaucoup internationalisé : je pense qu’on ne peut plus vraiment parler d’identité nationale quand on parle du design.
En octobre 2017, nous avons présenté à la Maison Louis Carré une exposition d’Ilkka Suppanen, qui est actuellement l’un des designers finlandais les plus importants. Dans l’exposition, il a surtout présenté des créations en verre – réalisées en Italie où il vit et travaille – mais aussi une pièce intitulée Burning Aalto. Pour celle-ci, il prenait le tabouret classique d’Aalto à trois pieds, le n° 60, autour duquel il a créé une coque en métal, et il a ensuite brûlé le siège en bois à l’intérieur. Il me parlait de sa grande admiration pour Aalto, et qu’il s’est senti légitime pour créer cette pièce, car il avait déjà assimilé l’héritage d’Aalto et a pu se faire son propre nom en dehors de lui. C’était un acte libérateur plein de respect.
Quel est le programme d’expositions pour cette année ?
La prochaine exposition sera articulée autour de la Médaille Alvar Aalto qui a été créée en 1967. Depuis lors, la médaille est décernée tous les deux ou trois ans aux architectes novateurs qui ont quelque chose en commun avec l’approche d’Aalto. L’an dernier, le prix était décerné à un architecte chinois passionnant, Zhang Ke. Dans l’exposition, nous allons présenter les médaillés Aalto et le travail de cet architecte. A l’automne, nous exposerons les magnifiques portraits du peintre finlandais Viggo Wallensköld.
Évidemment, le grand événement de ce printemps est la rétrospective d’Aalto à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris. Nous leur avons prêté plusieurs pièces, un meuble, une maquette… Une fois par mois, il y aura des navettes entre la Cité et la Maison Louis Carré. C’est la première rétrospective d’Aalto organisée en France depuis trente ans – une belle occasion donc pour le public français de découvrir son travail.
Quelle est votre destination préférée conçue par Aalto, outre la Maison Louis Carré ?
Il y en a beaucoup évidemment. Si on pense aux maisons particulières, la Villa Mairea en Finlande est superbe. L’église d’Imatra, située dans l’est de la Finlande, en plein milieu de la forêt, est très belle aussi. Les volumes et les luminaires de l’église ont beaucoup de points communs avec la Maison Louis Carré.
La particularité d’Aalto c’est d’ancrer ses bâtiments dans le site : il pense toujours à l’environnement, mais aussi aux usagers et à l’usure du bâtiment. Le fait de penser à la vie et à l’évolution de l’édifice a quelque chose d’intemporel, et c’est pour cela que ses bâtiments datant d’il y a soixante ans paraissent toujours si modernes.
Pour prendre l’exemple de la Maison Louis Carré, c’est une villa implantée dans un paysage très français, dans les collines de l’Ile-de-France. En faisant les plans pour ce bâtiment, Aalto a clairement pris en considération l’environnement ainsi que les exigences et le style de vie du couple Carré, qui souhaitait à la fois recevoir et préserver une vie privée. C’est une œuvre de maturité, née de la rencontre de deux grandes personnalités et de deux cultures.