Deux amis sont assis autour d’une grande table dans le silence et l’obscurité de la nuit, tout de noir vêtus comme des voleurs ou, dirait-on, comme des assassins. Ils murmurent quelque chose dans une maison endormie, laissant entendre au spectateur qu’ils ne devraient pas être ici.

C’est ainsi que commence Silent as Murderers, le tout dernier court-métrage de Lauri-Matti Parppei. Le film sera projeté à l’Institut finlandais le 3 février, à l’occasion de la reprise du programme cinématographique finlandais et balte à l’honneur de la dernière édition des Arcs Film Festival. Lauri-Matti Parppei (né en 1984) est un réalisateur, musicien et graphiste de la ville côtière de Rauma en Finlande. Tout juste diplômé en réalisation de film auprès de l’université Aalto, il a déjà réalisé de nombreux courts métrages portant sur les relations interpersonnelles, le sentiment de perte et la solitude. Nous avons parlé avec lui de son identité de réalisateur et de son premier long métrage.

La discussion glisse rapidement sur l’évocation de la scène alternative de sa ville natale Rauma où Parppei a trouvé sa voie à travers l’expérimentation de différentes formes artistiques dans un environnement libéré des conventions. Depuis lors, cette culture du « système D » a toujours une grande influence sur son identité de réalisateur. Ce qui importe alors n’est pas tant d’obtenir un résultat parfait, mais plutôt de faire quelque chose qui ait du sens pour soi. C’est cette vision des choses qui habite Parppei aujourd’hui. « Je sens que ma façon de travailler est très influencée par cet esprit “système D”, car ma création naît de la spontanéité et de l’impulsivité. J’ai mis du temps à me faire à l’idée que concevoir un court métrage puisse prendre plusieurs années. Après tout, le scénario ne fait que quelques pages. »

Pour ses deux derniers courts métrages, Parppei a reçu des financements. Le décor, qu’ils rafistolaient auparavant avec de la colle et des agrafes, a ainsi connu un vrai changement. Ce financement a donné vie à un nouveau sens des responsabilités et de la patience auxquels Parppei essaie encore de s’habituer. « Quand tu obtiens un financement important pour un projet, cette position privilégiée devient en quelque sorte un fardeau », souligne-t-il amusé. « Je me rappelle quand l’équipe de tournage portait tout l’équipement et que j’ai couru vers eux, ils m’ont répondu “Oh, mais tu n’as pas à t’en occuper, toi !” ». Pour moi, être réalisateur a toujours inclus ce genre de tâches. J’ai été habitué à réaliser les choses différemment, alors maintenant que certains de mes projets sont financés, je mets de côté mon ego parfois un peu trop. » Parppei va néanmoins continuer de travailler sur des projets à budget zéro pour lesquels ils peut davantage s’investir dans la réalisation. 

«Cinéma permet de combiner l’image, la musique et l’écriture. C’est le point d’intersection entre ces différents arts qui ne font alors plus qu’un. »

En plus de la réalisation, Parppei conçoit le scénario et la musique de ses films. Parppei est par ailleurs membre d’un groupe de post-pop nommé Musta valo (Lumière sombre en finnois). Il me révèle que la musique l’a en partie introduit au monde du cinéma. « Quand j’étais petit, je voulais réaliser des films, mais cette idée était totalement indépendante de celle de faire de la musique pendant de nombreuse années. Mais je pense que cette idée a fait surface quand j’ai compris que le cinéma permet de combiner l’image, la musique et l’écriture. C’est le point d’intersection entre ces différents arts qui ne font alors plus qu’un. » La musique est également d’une importance décisive dans l’élaboration du scénario. « Je compose souvent la musique pour le film pendant l’écriture de celui-ci. Cela m’aide à mieux saisir les émotions à l’œuvre dans le film. Parfois, il me semble qu’il y a un peu trop de musique dans mes films, puisqu’elle fait partie intégrante de l’histoire. »

Photo du film Silent as Murderers. © Anni Porrasmäki

Pour l’heure, Parppei est en train de réaliser son premier long métrage intitulé A Light That Never Goes Out. La musique, tout autant que la scène alternative de sa ville natale, tiennent un rôle central dans ce film. C’est l’histoire d’un flûtiste avant-gardiste, qui revient dans sa ville natale pour vivre avec ses parents après une tentative de suicide. Il y retrouve une vieille amie d’école qui est restée dans cette ville et qui réalise d’étranges œuvres d’art. Ensemble, ils composent des musiques jamais entendues auparavant. C’est une histoire sur la guérison et le rétablissement, qui, malgré son apparente morosité, est très drôle et optimiste. » Ce film est basé sur mon expérience de musicien dans une petite ville. C’est assez différent de créer des choses étranges à Rauma plutôt que de le faire à Paris ou Berlin, par exemple. C’est un sujet qui me fascine. »

« Je pense que c’est important de parler de sujets réels et vécus. Je suis certain que les sujets que je pense être de grande ampleur thématique le sont aussi pour les autres. » 

Parppei puise souvent son inspiration pour ses films dans ses expériences personnelles. Bien que ses films puissent sembler très intimes, il s’emploie à traduire ses expériences et à les partager aux spectateurs. « Mes films ont leur regard tourné vers les spectateurs, ce qui m’offre un cadre propice à l’évocation de sujets personnels. » Parppei m’indique qu’il a tenu à conserver certaines caractéristiques du film documentaire dans sa pratique, même si ce n’est pas toujours visible. Par exemple, il fait souvent jouer des acteurs inexpérimentés, mais qui pourraient bien être passés par les mêmes expériences que les protagonistes du film. « Je pense que c’est important de parler de sujets réels et vécus. Je suis certain que les sujets que je pense être de grande ampleur thématique le sont aussi pour les autres. Je crois, en définitive, que mes propres expériences sont les choses que je dépeins le mieux. » 

Le sentiment de perte, le désir et les relations étroites animent les films de Parppei. Des amants passent leur dernier jour ensemble, un ex-couple parle au téléphone pour la première, et sûrement la dernière fois après leur rupture… Je lui demande ce que ces thèmes signifient pour lui. « Dans la pop music, les chansons parlent souvent de la même chose. C’est très répétitif. Dans les films en revanche, les spectateurs s’attendent à des sujets plus variés et surprenants. Quant à moi, j’aime à étudier un même sujet, sous différentes perspectives. Un peu comme pour les chansons pop. »

Photo de film Silent as Murderers. © Anni Porrasmäki

Nous achevons cette conversation en évoquant son film Silent as Murderers plus en détail. Dans une ambiance à la fois captivante et fuyante, ce film retrace le dernier été de deux amis dans leur ville natale. Pendant la journée, ils sont jardiniers, mais la nuit, ils s’introduisent furtivement dans des maisons, alors que tout le monde dort. On avait demandé à Parppei de faire un film différent de ses précédentes réalisations, mais l’histoire de Silent as Murderers prend bien racine dans les amitiés du réalisateur. « D’une certaine manière, ce film raconte surtout pourquoi mes amis ont reçu des financements pour leurs projets et pas moi », me confesse Parppei en riant. « En 2015, quand j’écrivais ce film, c’était le sentiment que j’avais, à savoir que toutes ces personnes, plus intelligentes, plus courageuses, plus talentueuses et aimantes que moi, vont de l’avant, et de bon droit ! J’ai écrit ce film pour dominer ce sentiment de frustration. On a commencé le tournage trois ans plus tard et j’avais l’impression de ne plus connaître la personne qui a écrit ce film. Bien que mon esthétique ait changée au cours des dernières années, ce film a conservé des éléments auxquels je peux toujours me raccrocher. » 

Parppei me confie que travailler avec des amis proches peut parfois susciter des sensations de manque et d’incertitude. Mais le mot « réalisateur » lui est de plus en plus familier. « Auparavant, je disais que j’étais juste quelqu’un qui fait un peu de cinéma, mais désormais, j’ai de plus en plus le courage de me présenter en tant que tel. ». 

Texte : Veera Mietola