A l’exposition de réouverture l’Institut finlandais présentera une pièce spécialement créée pour l’institut par Renata Jakowleff. Inspirée par l’ambiance et les matériaux qui se retrouvent à l’institut, cette pièce intitulée Reflection painting, gold est faite de plus de 120 000 perles de verre. L’oeuvre vit et se transforme à travers les jeux de la lumière, l’ombre et le moment de la journée, ainsi permettant aux visiteurs de l’observer des qualités physiques et des nuances de la lumière. Curieuse et novatrice sur plusieurs matières, Jakowleff ne cesse pas de s’interroger sur les normes établies concernant la vision de beauté. Elle a partagé avec nous sa vision sur le sens du matériel ainsi que celui de la lumière.

Néé en Hongrie, Renata Jakowleff vit et travaille en Finlande. Sa carrière et pratique artistique sont marquées par son approche expérimentale et ambitieuse avec le verre. Jakowleff a participé à de nombreuses expositions et foires aussi bien en Finlande ainsi qu’à l’étranger. Ses pièces peuvent être trouvées dans la collection de l’Etat finlandais, des collections privées et au Musée du Verre en Finlande. Dans les dernières années, son approche novatrice a également contribué au développement de la technique de la pré-moulure intitulée Muotobetoni, qui permet l’impression 3D avec le béton.

Comment avez-vous commencé à travailler le verre ?

Ce n’était pas un rêve d’enfance. Les arts plastiques et l’artisanat m’ont toujours intéressée, mais un chemin précis n’était pour moi pas facile à trouver. Je suis allée au lycée des arts visuels, puis j’ai étudié dans une école de commerce et à l’université. J’ai dans un premier temps choisi la céramique et, à ce moment-là, je n’avais pas encore de projet pour le verre. Une fois les études commencées, je me suis familiarisée avec le verre et j’ai réalisé que c’était le meilleur matériau que je puisse travailler.

Qu’est ce qui vous intéresse en particulier dans cette matière première ?

La liquidité. C’est une propriété difficile à gérer, et c’est cela que j’aime bien – la difficulté m’intéresse beaucoup. Il y a beaucoup de matériaux qui ont tendance à réagir lentement, le verre en revanche répond vite dès le début du processus. Ce qui m’intéresse le plus, c’est le mouvement même du verre. Si je travaillais le bois, ce qui m’intéresserait le plus serait probablement le fait que le bois s’éclate tout seul. Pourtant, le processus serait lent et ma patience ne suffirait pas.

Selon le moment du jour, l’oeuvre peut se présenter comme de la fourrure, dans une autre lumière comme la lumière d’été à Helsinki – comme le ciel de nuit depuis la perspective de bas en haut ou encore, de face, une journée d’été ensoleillée.

Le verre en tant que matériau correspond donc à votre caractère ?

Tout à fait – et à mon rythme. C’est le souffle qui m’a attiré le plus dans le travail du verre : c’est à la fois amusant et difficile. J’apprécie l’interaction, l’échange avec le matériau. J’ai la possibilité de m’amuser avec le verre : lorsque je le sors du four, il est comme du miel qui se fige rapidement.

Chaque fois que vous commencez à travailler, avez-vous une idée prête à être façonnée ?

Cela va de soi qu’il y a plusieurs chemins. Ce qui est particulier dans mon travail, c’est de souligner le processus même. Il est intéressant d’observer comment le progrès dépend des conditions posées par le matériau. Plus on travaille, plus on apprend. Au début de chaque projet, j’ai des idées qui dérivent des constats et expériences passés. Tout cela ne sont bien sûr que des ébauches. Viser un produit fini est un travail minutieux – si l’on veut réaliser une idée particulière, il faut savoir prendre le temps.

Les différentes étapes du travail pour moi sont la préparation par le biais des idées, des ébauches et des recherches. L’ordre n’est pas logique, ni chronologique – les phases s’entrelacent : lorsque je travaille sur quelque chose, il y a déjà une autre idée en train de prendre forme. Le processus peut parfois être très lent, à la limite du fastidieux. C’est pourquoi j’ai commencé à progressivement utiliser des matériaux préfabriqués. Car lorsqu’on prépare tout nous même, il se peut que l’on reste derrière soi : les idées vont beaucoup plus loin que le processus lui même, et l’on s’aperçoit que l’on travaille sur quelque chose qui appartient déjà au passé. Cela m’a fait du bien de renoncer à la fabrication technique où le risque d’échouer est majeur. En travaillant avec des matériaux, le résultat est toujours un compromis. À propos du travail technique, il est bien de prendre de la distance de temps en temps. L’idéal serait pour moi d’avoir de l’assistance durant la préparation. Pourtant, il est nécessaire de se rappeler que, même s’il s’agit de formes élémentaires, chacun a sa propre main et son propre style – malgré des instructions très précises, le résultat porte toujours la vision de son auteur.

Pouvez-vous parler du processus de la conception de l’oeuvre Reflection painting, gold qui sera présentée à l’exposition inaugurale de l’institut?

L’idée de l’oeuvre a germé pendant que je travaillais sur une oeuvre précédente avec du verre bleu. C’est à partir de ce moment que je m’intéressais à l’exploitation du même procédé ainsi que des matériaux prêts à l’emploi. Dans un premier temps, je méditais sur des notions finlandaises diverses. Les perles employées dans l’oeuvre évoquent l’idée d’une répétition monotone et du travail difficile. L’harmonie qui émerge de la clarté est quelque chose de très finlandais. Bien que les morceaux utilisés soient identiques, et se développent sur une échelle importante, je ne considère pas l’oeuvre par ses détails : je contemple plutôt sur des zones qui émergent par le biais des clairs-obscurs. Selon le moment du jour, l’oeuvre peut se présenter comme de la fourrure, dans une autre lumière comme la lumière d’été à Helsinki – comme le ciel de nuit depuis la perspective de bas en haut ou encore, de face, une journée d’été ensoleillée. À un moment donné l’oeuvre cherchait des formes organiques, mais je ne voulais pas une oeuvre avec des références directes : j’aime bien son côté abstrait et pittoresque. Le nom de l’oeuvre, Reflection painting, gold, indique sa forme-même : je cherchais une approche imagée, étant donné que le verre se présente souvent comme trop sculptural et en trois dimensions.

Le rôle de la lumière est important en ce qui concerne des pièces d’oeuvre en verre. Pouvez-vous éclaircir cette importance dans votre travail ?

J’habite en Finlande depuis longtemps déjà, et j’ai toujours considéré le contexte finlandais à travers l’obscurité. Ce n’est que ces derniers temps que la lumière finlandaise a commencé à m’intéresser de plus en plus, car étant presque comme une substance – elle est claire et intense, presque coupante. Il semble aussi que le ciel en Finlande est plus bas dans l’horizon, tandis qu’à Paris il est plus haut.

Vous travaillez également avec le béton : vous avez créé une méthode, Muotobetoni, qui permet des formes en trois dimensions. Pouvez-vous dire comment vous abordez des interfaces entre le design et l’art ?

Dans l’ensemble les deux, design et arts plastiques, agissent comme sorte de ménage au milieu du chaos. Je ne les considère pas séparés car le point de départ est le même. Muotobetoni est fondé sur les qualités liquides et plastiques. Lorsqu’on imprime sur le béton, cette action repousse le matériau et l’oblige à se déplacer. Encore une fois, le mouvement se démarque. Concernant l’art, je commence par reconnaître le mouvement et la plasticité du verre. L’essentiel est le même : le mouvement du matériau. Je travaille en ce moment autour du verre et du béton, mais tous les matériaux mobiles m’intéressent.

Pensez-vous qu’en Finlande, combiner l’art et le design est plutôt habituel ?

Je dirais qu’il est de plus en plus naturel d’allier les deux. Le verre a pendant longtemps été considéré comme un art industriel, ce qui lui a imposé un certain poids et une certaine catégorisation dans ce domaine. Je crois que le prix Ornamo est une reconnaissance de combien le travail peut être polyvalent et sans limite, de comment l’on peut travailler autour du même sujet en dépit du contexte. Être artiste n’est pas mal car il est possible de se poser toute sorte de questions.

Vous avez abordé que vous aimez chercher la nouveauté, à expérimenter. Où trouvez-vous l’inspiration ?

Je vais beaucoup au théâtre et au cirque contemporain. J’apprécie également l’art social à plusieurs degrés. La plupart de mes idées émergent lorsque je me déplace – le mouvement est très inspirant. L’autre chose qui m’intéresse est la qualité – lorsqu’elle est bonne, on y sent le temps et la réflexion. Enfin, je ne suis pas sûre que “l’inspiration” soit le mot exact, je parlerais plutôt d’une certaine curiosité.

Renata Jakowleff

Photographie par Christian Jakowleff