La Finlande est peu densément peuplée et couverte de forêts. Au total quelques 73% du territoire sont des forêts, à peu près 5 hectares par habitant. Le paysage national finlandais, cette grande ceinture de forêts de conifères au nord, est néanmoins en pleine mutation structurelle majeure : on parle de campagnes qui se vident et d’urbanisation incontrôlée. Les changements reflètent également fortement la dispersion régionale des structures par âge et les divisions intergénérationnelles. Qu’est-ce que les notions de forêt et de propriétaire de ces forêts symbolisent pour les générations actuelles ? Comment gérer cette relation modifiée avec notre cher paysage national ? L’artiste et photographe Jaakko Kahilaniemi a, entre autres, répondu à ces questions lors de notre entretien.

Un magnifique paysage printanier se dévoile à Eläintarhanranta depuis un appartement situé à Hakaniemenranta à Helsinki. Jaakko Kahilaniemi, qui fête ses 30 ans, se prépare pour la journée en mangeant du porridge. Pendant son petit déjeuner il discute avec moi, depuis la cuisine ouverte. Il me dit que le printemps sera chargé pour lui ; hormis l’événement Fotografia Europea en Italie, il participe également au Format Festival organisé en Angleterre. Et bien sûr, il participe au Festival Européen de la Jeune Photographie Circulation(s) à Paris en avril, une visite qui lance également le nouveau programme de visites IF Studios en photographie de l’Institut finlandais. Malgré les multiples invitations à l’étranger qu’il reçoit, Jaakko veut minimiser ses voyages. « Je pense beaucoup à mes actes du point de vue du changement climatique, dans mes nouvelles créations aussi. Pourtant, je souffre du grand dilemme de ce que l’on peut faire ou même avoir le courage de faire. Bien sûr, je veux continuer dans cette voie, mais il me semble que si je pars constamment à l’étranger pour promouvoir mes œuvres, je me tire une balle dans le pied. C’est assez contradictoire. »

Avant de suivre le programme de photographie de l’Université Aalto, Kahilaniemi a étudié la photographie à l’Académie des Sciences Appliquées de Turku de 2010 à 2014. Au cours de ses années à Turku, il a commencé à rechercher et à traiter de ses propres antécédents, des scènes de son enfance grâce à la photographie, ce que Jaakko lui-même appelle « metsäläisyys » [étant non civilisé, vivant dans une forêt]. Pendant un moment nous nous promenons sur Google Maps où nous trouvons la ville natale du père de Jaakko, Enokunta, et à proximité, une route appelée Kahilaniementie, qui porte le nom de sa famille. Des images des paysages de la maison de Jaakko, de sa grand-mère, et d’une pièce remplie d’animaux empaillés défilent sur l’écran d’ordinateur. Je peux facilement comprendre les symboles transmis par les images, elles semblent étonnamment familières.

« J’ai toujours voulu vivre en centre-ville. Même si j’ai toujours eu le désir de fuir les petits villages et la campagne, j’ai toujours été fasciné par les thèmes liés à la forêt. Après m’être installé dans une ville, la campagne et ses paysages familiers me semblent finalement étrangers ». La série 100 Hectares of Understanding de Jaakko (présentée au festival Circulations(s) cette année), se réfère à la centaine d’hectares boisés hérités par le photographe, desquels il s’est senti à l’écart. « Le chemin que j’ai choisi est artistique, et donc non dirigé vers la sylviculture, ce qui m’a beaucoup éloigné de ce monde. L’inconnu, le sentiment d’étrangeté. Comment ces lieux peuvent-ils être comme ils sont ? ». La nature et la forêt ont déjà été présentes dans les travaux de Kahilaniemi. Comme travail de fin d’études à l’Académie de Turku, il avait créé la série de photographies Tapiola. «Mon nom complet est Jaakko Simo Tapio Kahilaniemi. Mon père s’appelle Tapio ». Tapiola signifie forêt dans le Kalevala, le recueil national de poésies épique du XIXe siècle compilé par Elias Lönnrot, tandis que Tapio signifie roi de la forêt.

En 2018, Jaakko a été sélectionné parmi les finalistes du non moins reconnu festival d’Hyères, après quoi il a remporté le concours ING Unseen Talent Award à Amsterdam. A la même période, il commence à développer une nouvelle série de photos, Nature Like Capital. À travers cette série, il cherche à faire se refléter l’impact direct et indirect des populations sur le changement climatique et sa visibilité dans la nature. Jaakko me montre ses travaux sur l’ordinateur. « Tu peux voir les incendies de forêt de l’été dernier à Pyhäranta dans ce travail. Ils ne sont pas directement causés par les hommes, mais indirectement l’Homme a bien un impact sur le réchauffement climatique et sur l’augmentation des feux de forêts. Dans cet autre travail, tu peux voir les cinq oliviers que j’ai plantés. Je sais que les oliviers ne peuvent pas survivre à l’hiver finlandais, mais ce sera peut-être différent dans 50 ans. La ligne rouge dans le travail montre la route par laquelle les oliviers ont traversé l’Europe, de la Grèce à Plantagen [un magasin de fleurs à Tampere, en Finlande], pour finir dans les forêts de Teisko. »

ll est évident à travers ces nouvelles œuvres que le photographe a changé de perspective ; la forêt est devenue plus anonyme, voire plus lointaine. Les recherches personnelles se sont transformées en observations plus analytiques et structurelles ; comment traiter de ce sujet de la forêt avec la notion de propriété et la pensée capitaliste ? Que fait l’humanité à terre mère ? L’intérêt du photographe à comprendre et à visualiser la forêt, qui est parti de la série Tapiola, continue et change de forme au fil du temps.

Jaakko Kahilaniemi participe au Festival Circulation(s) – Festival Européen de la Jeune Photographie, organisé à Paris du 20 avril au 30 juin 2019.

Festival Circulation(s)
Jaakko Kahilaniemi