Les objets sami retournent au Pays sami

En 1905 le peintre finlandais Gabriel Engberg voyagea dans la Laponie finlandaise, cherchant l’inspiration artistique. Au cours de son voyage il s’attarda dans la région d’Inari, y rencontrant des locaux, des Samis, à qui il acheta des objets artisanaux comme souvenirs. Plus tard Engberg devint l’intendant du musée de Häme, et les pièces qu’il avait acquises au pays Sami finirent par être intégrées à la collection du musée. Engberg fit partie des nombreux voyageurs ayant sillonné le pays Sami. Plusieurs d’entre eux étaient des collectionneurs de l’héritage culturel sami qui a ensuite fini dans des musées et des expositions à l’extérieur du pays Sami. Aujourd’hui, ces objets retournent au pays Sami grâce aux rapatriements.

Pendant des siècles les musées du monde entier ont acquis, conservé, étudié et exposé l’héritage culturel des peuples autochtones. Dans les musées, l’héritage culturel des peuples autochtones a été interprété hors de son contexte, d’un point de vue extérieur et étranger. Par conséquent, les connaissances et le savoir-faire traditionnels liés à l’héritage culturel des peuples autochtones sont tombés dans l’oubli, et se sont transformés en objets d’exposition symbolisant l’altérité étrange et exotique.

Au cours des siècles, le pays et le peuple sami ont aussi intéressé les administrateurs et les voyageurs. Peuple indigène de la Scandinavie du nord et des régions du nord de la Russie, les Samis parlent plusieurs langues sami et vivent traditionnellement de l’élevage de rennes, de la pêche et de la chasse. Les différences régionales, linguistiques et culturelles divisent le peuple sami en sous-groupes au sein de la communauté sami. Durant des siècles les Samis ont été connectés au monde extérieur et leurs relations commerciales ont été florissantes partout en Europe. Le grand nord et les Samis qui y habitent ont toujours enchanté les voyageurs ; en conséquence, l’héritage culturel sami a fait son chemin de Laponie jusqu’aux musées de Finlande et du monde entier.

Au cours des dernières décennies les peuples indigènes se sont mis à demander le rapatriement de leur héritage culturel, ce qui a abouti à des procès de rapatriement des objets culturels partout dans le monde. Dans ce contexte, on entend par rapatriement le retour des objets culturels dans leur pays ou communauté d’origine. Le débat sur le droit de possession et de gestion du passé des peuples autochtones continue et s’intensifie. De nombreuses communautés autochtones cherchent à revitaliser leurs traditions déjà perdues ou oubliées. C’est pour cette raison que nous avons été témoins de plusieurs cas de rapatriement de l’héritage culturel matériel ou immatériel des peuples autochtones. La communauté sami, avec les musées samis, œuvre au rapatriement de l’héritage culturel sami au pays Sami.

En 2015, plus de cent ans après le voyage d’Engberg, les objets qu’il avait rapportés du pays Sami ont été retournés à Inari. Le musée Vapriikki à Tampere voulait rendre les objets sami au pays, et c’est ainsi que le premier rapatriement, ou retour au pays, des objets samis s’est réalisé. Cela a marqué le début d’une chaîne de rapatriements en Finlande – déjà quatre musées finlandais ont retourné des collections d’objets samis à la communauté sami. Le pas le plus important fut sans doute l’accord signé en 2017 entre le Musée national finlandais, le Musée sami et le centre de la nature, Siida qui stipule le retour d’une collection de 2500 objets samis à la communauté sami en 2022, lorsqu’un local approprié aura été construit.

Cette coiffe traditionnelle d’une femme skolte faisait partie des collections du musée national de Finlande, et rejoindra sous peu les collections du musée Sami Siida. © Musée Sami Siida

L’héritage culturel sami dans les musées

Avant la fondation du Musée sami Siida, l’héritage culturel sami était principalement détenu par le Musée national finlandais ayant une collection de plus de 2500 objets. La collection sami du Musée national a été enrichie par les trouvailles de nombreux ethnologues et linguistes célèbres, par les fonctionnaires qui se sont trouvés en poste en Laponie, et par les amis et porte-paroles du peuple sami. Il existe aussi des collections plus réduites dans d’autres musées finlandais et européens. Ces collections consistent pour la plupart en objets acquis au pays Sami au XVIIIe et XIXe siècles. Elles contiennent plusieurs pièces rares – des objets qui ne sont plus utilisés aujourd’hui dans la communauté sami ou dont la fonction ou emploi même ont été oubliés.

Le Musée sami Siida a été fondé en 1959 ; la collecte des objets a commencé aussitôt. La plupart de l’héritage culturel matériel des Samis a été détruit à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1944-45 dans la Guerre de Laponie. Alors que l’armée allemande s’est retirée de la Finlande, elle a incendié de vastes territoires et en particulier des villages qui se trouvaient au bord des routes. Le musée sami a été fondé par la première association sami, Samii Litto, dont la mission était de sauvegarder et de documenter l’héritage culturel sami qui avait survécu à la guerre. En 1998 Le Musée sami Siida a obtenu un local moderne ; l’année suivante il a obtenu le statut de musée national spécialisé dont la mission est de garder, d’étudier et d’exposer l’héritage culturel sami de la Finlande. C’est la seule institution en Finlande ayant cette fonction.

La Suède et la Norvège aussi ont chacune leur musée sami. En Suède, Ajtte, le musée dédié aux montagnes et à la culture sami se situe à Jokkmokh, alors que la Norvège compte plusieurs musées samis régionaux. La Norvège a également entamé un processus de rapatriement de l’héritage culturel sami, initié par le projet Baastede en 2007. Le Norsk Folkemuseum compte retourner la moitié de sa collection sami aux musées samis norvégiens. Les objets seront retournés au musée sami de la région où ils ont été trouvés à l’origine.

En 2007-2008 les musées samis nordiques ont collaboré dans un projet nommé Recalling Ancestral Voices – Repatriation of Sami Cultural Heritage, où les musées samis ont fait le bilan des collections samis des musées nordiques. Ce projet a été un premier pas très important pour le rapatriement des collections samis car il a rendu possible l’obtention de beaucoup d’information sur le contenu, les origines et l’étendue des collections samis dans les pays nordiques. La conséquence la plus importante a été sans doute le fait que les musées nordiques furent obligés de faire le bilan de leurs collections samis et d’envisager leur rapatriement à la communauté sami.

La « sarvilakki » est une coiffe sami en forme de corne. Elle était portée par femmes sami jusqu’à fin du XIXe siècle, jusqu’à ce que les pasteurs chrétiens en interdisent le port, y voyant une ressemblance avec les cornes du diable. La sarvilakki ci-contre/dessus/dessous a été restituée au musée sami Siida, après avoir été rapatriée des collections du musée Vapriikki. © Musée Sami Siida

L’importance des rapatriements

Les rapatriements ont une grande importance pour la communauté sami, qui en tant que peuple indigène, a le droit de gérer son propre héritage culturel. Les musées jouent un rôle capital dans la construction et le renforcement de l’identité des individus et des communautés. Renforcer l’identité culturelle fait partie, en effet, des fonctions les plus importantes de nombreux musées des peuples autochtones. Les collections et les expositions d’un musée reflètent le contexte, la fonction et le point de vue choisies d’un musée, et, pour cette raison, sont toujours une interprétation d’une culture, d’un phénomène ou d’un thème, reposant sur certaines hypothèses. L’héritage culturel indigène placé hors de portée d’un peuple indigène ne lui permet pas de gérer, d’interpréter et d’exposer son héritage culturel à partir de son propre point de vue. Les rapatriements sont une partie de la solution à ce problème. Il est important pour les Samis comme pour les musées samis de pouvoir parler de leur propre héritage culturel avec leurs propres mots et à leur manière, et de déterminer ainsi ce qu’il faut sauvegarder pour les futures générations.

Au pays Sami et à la portée de la communauté sami, les collections samis prennent une valeur particulière qu’elles n’ont pas ailleurs. L’origine de beaucoup d’objets dans ces collections pouvant encore être identifiée aujourd’hui, les gens peuvent rétablir des liens avec ces objets ayant appartenu à leurs ancêtres. En effet, la valeur la plus importante de ces rapatriements est sans doute symbolique. L’héritage des ancêtres revient au pays après ‘une tournée’ de cent ans dans le sud. Le retour à la communauté sami du savoir, de la mémoire, des histoires et de l’empreinte de la main des ancêtres, est plus important que le retour de l’objet matériel. Des siècles durant, la culture sami a été interprétée à travers les objets recueillis au pays Sami ; maintenant il importe que les Samis puissent utiliser et interpréter ce savoir à partir de leur propre point de vue. De cette manière les Samis pourront enfin gérer leur héritage culturel.

Outre sa signification symbolique, le rapatriement a une signification pratique. A travers les rapatriements, un grand nombre d’objets samis retourne au pays Sami, où ils sont plus accessibles au public sami. Lorsque les collections se trouvent à proximité, le public peut en profiter d’une manière plus efficace. La communauté sami a aussi l’opportunité de participer au travail d’enrichissement de ces collections, et de planifier et de développer des projets avec les musées samis. Plus de 60% des Samis vivent actuellement en dehors du pays Sami. Il est donc important qu’eux aussi puissent accéder aux collections samis. Nous autres au Musée sami Siida cherchons des solutions à cela en améliorant l’accessibilité numérique des collections grâce à une variété de bases de données numériques et par la modélisation 3D, et aussi en sortant de notre environnement immédiat, à savoir le pays Sami, pour disséminer de l’information sur les collections et le travail sur celles-ci.

Le « komsio » est un berceau traditionnel sami, restitué au musée sami Siida, après avoir été rapatrié des collections du musée de Hämeenlinna. © Musée Sami Siida

Du point de vue des musées des peuples indigènes, les rapatriements renforcent leur statut d’organisations qui détiennent, étudient et exposent l’héritage culturel autochtone. Les rapatriements ont renforcé le rôle de détenteur de la mémoire et des souvenirs de la communauté sami du Musée sami Siida. Les collections du musée sami sont constituées pour la plupart d’objets fabriqués et recueillis après les années 1930. Les rapatriements ont complété la collection avec des pièces provenant du XVIIIème et XIXème siècles et du début du XXème siècle. Cela a permis de présenter les collections plus anciennes et d’une manière plus ample que dans les autres musées. Cela a également permis à la communauté sami d’étudier les objets et de raviver, rappeler et se réapproprier le savoir-faire et les traditions complètement ou partiellement oubliés.

Il est important de connaître ses racines – savoir d’où nous venons nous aide à comprendre qui nous sommes en ce moment et vers où nous allons. Connaître ses racines est primordial pour la construction de l’identité d’un individu aussi bien que pour celle d’une communauté. Les musées samis jouent un rôle important de gardiens des racines et de la mémoire collective sami. Les rapatriements permettent aux musées samis de remplir leur fonction d’une manière plus complète, et permettent à la communauté sami de se souvenir de son passé et de recréer, maintenir et renforcer son rapport avec ses racines. Il nous incombe de faire pousser les racines pour les générations futures.

Conservatrice Anni Guttorm
Siida, le Musée sami, Inari

Cet article est paru dans notre IF publication qui est distribuée gratuitement à l’Institut finlandais. La photographie de publication par Sofia Okkonen.