« Tigre, Tigre, lumière brûlante, dans les forêts de la nuit, quelle main immortelle ou quel œil, ont eu l’audace de saisir ta forme assassine ?

En quels abîmes vertigineux et sous quels cieux brûlait le feu de tes yeux ? Sur quelles ailes a-t-il osé être emporté ? Quelle main a-t-elle osé arracher ce feu ?

Et quelle épaule, et quel art ont sculpté les nervosités de ton cœur ? Et quand ce cœur s’est mis à battre, quelle redoutable main ? Et quels redoutables pieds ? […] 

 

La formule du peintre et poète William Blake issue du Tigre des Chants d’expérience donne le ton du travail pictural de Bo Haglund, peintre scandinave. La forêt de Fontainebleau ou celle de Mazzano Romano en Italie constituent son environnement de création en résidence à travers différents pays. Une farandole de personnages constitue son univers cosmologique.

Pour Bo Haglund, dessiner et peindre font partie d’un rituel énergétique auquel il s’adonne dès sa petite enfance : « Mon travail dans les arts visuels est souvent associé à des histoires. Ils sont ainsi liés à la bande dessinée et au théâtre. La main qui dessine révèle ce que le cerveau ne comprend pas. En dessinant, je m’oublie. Parfois, je ne sais pas si c’est de l’art visuel que je fais. Mon travail est souvent plein de détails et c’est peut-être une caractéristique de mon travail. »

Né à Helsinki en 1963 en Finlande, Bo Haglund grandit à Klemetsby dans l’Ilola, région de Porvoo. Il est polyglotte et s’exprime en suédois, finnois, allemand, anglais et français. A Paris, il nous convie à explorer une partie de son univers telle une traversée de sa pensée poétique. Il débute dans les années 80-90 en tant que scénographe au théâtre et au cinéma pour progressivement se tourner vers la pratique de la peinture en tant que plasticien.

Il considère Edvard Munch (1863 – 1944) et Otto Dix (1891 – 1969) comme ses maîtres. Il est aussi influencé par les effets spéciaux présents dans le film Bladerunner de Ridley Scott (1982). Le plasticien scandinavien débute sa pratique dans les arts du spectacle. Il y fait ses armes en rencontrant des personnes comme Pekka Ojamaa, scénographe, costumière et enseignante (1947- 2008) lors de ses études à l’Ecole de Design d’Aalto et aussi Kaarina Hieta, scénographe au théatre municipal de Helsinki dans les années 80 et 90. Il admire profondément L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous, donné à La Cartoucherie de Paris et se passionne profondément pour les grands peintres.

Avec Écoutons la forêt pousser, exposition à l’Institut finlandais, nous sommes invités à traverser une forêt comme on se promène dans un conte mental et poétique. Selon Bo Haglund, « la forêt a été considérée comme un symbole du paysage finlandais de l’âme.» Son père a travaillé toute sa vie dans la forêt pendant les hivers et a cultivé la terre le reste de l’année. Pour son père, « la forêt était source de revenus. C’était un travail qui suivait le changement des saisons. Dans mon enfance, la forêt était un refuge, un lieu magique, un lieu magique pour de nouvelles pensées et de nouveaux rêves. Les valeurs représentées par la génération de mes parents dans un environnement d’enfance hétéronormé et patriarcal ont influencé ma perception de la campagne comme quelque chose de permanent et d’archaïque. Cela contraste avec les discussions et les enquêtes sur l’exode rural, la dégradation de l’environnement, le déclin de la société de bien- être,…», explique-t-il.

L’heure bleue, Bo Haglund

 

Il est important de rappeler que vers la fin des années 90, Bo Haglund est l’auteur de Bertil Gata, personnage de bande dessinée stylisé, asexué et aux comportements sociaux étranges pour lequel il reçoit une consécration en 1995 avec une exposition monographique et une publication avec un éditeur en 1996 – le début d’une grande aventure pour Bertil Gata, figure emblématique d’un tournant dans le parcours créatif du plasticien. Puis, vient Kantopää (Stubbhuvud Stumphead), autre personnage de bande dessinée récurrent dans son travail créatif. Désormais, un l’artiste travail à une échelle différente de la scène. L’espace de la galerie devient le nouveau lieu où sa pensée se fige le temps de l’exposition pour ensuite reprendre sa course et poursuivre sa traversée. Il arrête ses collaborations pour le théâtre en 2003.

Aujourd’hui, en tant que plasticien, il continue à créer des personnages et les place dans un cadre où fantasmagorie et réalité se confondent. Ses différentes résidences en Italie et en Suisse nous offrent un aperçu de sa vitalité tant au niveau des couleurs utilisées que sa maîtrise de la forêt et des arbres. Sa pensée abrite des chimères et donne à voir des éléments narratifs dans les espaces de galeries.

On comprend que Bo Haglund traverse des étapes pour quitter la scène des arts vivants pour rejoindre le white cube des galeries tout en ayant la même soif sur le monde, ses systèmes et fonctionnements. Pour le plasticien finlandais, les rainures des feuilles, la transparence d’objets en verre, les couleurs vives mais discrètes des arbres forment un tout harmonieux tel des pièces d’une histoire qui ont en commun de présenter des caractéristiques picturales propres à l’adn de l’artiste. La peinture de Bo Haglund incite les visiteurs à s’adonner au rêve – porte d’entrée possible et offerte à son univers touffu, feuillu et bonnement fou.

Dans toute l’œuvre de l’artiste, le spectateur assiste à un télescopage de pensées : personnages issus du spectacle vivant et de la bande dessinée aux traits hybrides venant d’époques lointaines des fois en décalage avec notre ère actuelle, en proie à leurs propres démons dans un environnement naturel de forêts d’arbres en lien avec les résidences passées et surtout avec les paysages finlandais que connaît bien l’artiste depuis son enfance. Il peint plusieurs arbres dont le chêne, le sapin, le mélèze de Sibérie, l’érable, le hêtre et aussi des plantes comme le nénuphar.

Nous assistons à l’observation du monde que fait l’artiste. Telle une narration, les étoiles, les arbres, l’humain, la famille, tout passe via sa palette de couleurs des plus vives aux plus ternes. Les peintures d’aujourd’hui sont composites et denses. Le fait de pouvoir travailler en résidence à l’étranger le nourrit davantage. Le processus créatif de Bo s’enrichit (Italie, Suisse, France,…). Il en résulte un goût finement pétillant sans doute, un héritage de l’univers des bandes dessinées. Etre confronté au présent et laisser agir la mémoire du passé et des souvenirs laissent apparaître un résultat où le spectateur est actif et doit décrypter les différentes strates de lectures des œuvres du plasticien.

Traverser la vie c’est assurément composer et laisser une trace de ce qui a été. Bo Haglund rend compte de ces traces, d’un geste vigoureux – une pulsion dynamique qui l’anime et témoigne de son acceptation du monde intime, personnel et public. La cosmologie de l’artiste est en mouvement. Il fait d’ailleurs partie de ce mouvement et nous emporte avec.

 

Nicola Ross, auteur et curateur