Amours à la finlandaise aborde le sujet de l’amour sous toutes ses formes. Le film raconte l’histoire de Juulia (Alma Pöysti), qui découvre que son mari Matias (Eero Milonoff) a une liaison avec une autre femme. Après cette découverte, elle décide de transformer son mariage en relation polyamoureuse. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer la réalisatrice et scénariste Selma Vilhunen et l’actrice principale Alma Pöysti à Paris pour discuter du film. 

 

Alma et Selma, que pouvons-nous attendre du film ? 

Selma: Je voulais aborder la question de ce qu’est l’amour de la manière la plus approfondie possible. La perspective du polyamour m’a semblé une voie fructueuse pour explorer tout ce qui est lié à l’amour, par exemple les structures de pouvoir. Vous pouvez vous attendre à un voyage à travers les questions de l’amour. Et je souhaiterais même qu’il puisse être une expérience d’amour pour les spectateurs. 

Alma: Je vois ce film comme une opportunité de commencer à penser à la manière dont nous appréhendons l’amour et les relations. Cela peut donner de nouvelles idées, et pourrait perturber nos habitudes d’une bonne façon. Ce film porte un regard indulgent sur les gens, ce qui peut faire du bien. 

 

Dans le film, nous voyons par exemple Eero Milonoff dans le rôle d’un prêtre appelé Matias. De plus, nous sommes dans un milieu urbain à Helsinki, parmi une population d’âge moyen et de classe moyenne. Selma, qu’est-ce qui vous a amenée à aborder le polyamour à travers ces personnages et ce milieu ? 

Je voulais faire ce voyage avec des personnages pour lesquelles le polyamour n’était pas tout à fait évident. Tout au long du film, les personnages sont confrontés aux différentes normes qui leur ont été inculquées au cours de leurs vies. Ils sont contraints de se demander d’où viennent ces normes et s’ils les veulent vraiment dans leur vie. Et je ne prétends pas qu’il ne peut pas avoir dans ces normes quelque chose de bien aussi, mais je trouve qu’il est bon de les examiner un peu et de se demander pourquoi telle chose est tabou, interdite ou même vue comme un péché. 

J’ai toujours trouvé intéressant que souvent, le fait d’aimer soit considéré bien pire que des comportements violents et abusifs. Pourquoi est-ce si effrayant quand quelqu’un aime librement ? C’est le genre de choses que l’on peut explorer à travers la vie de Matias et Juulia. 

 

Alma, vous interprétez Juulia, qui est membre du parlement pour le parti Égalitaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre personnage ? 

Juulia est une personne véritablement inspirante. Elle est aussi assez progressiste dans sa politique. Au travail, elle essaye constamment de construire un monde meilleur pour les autres. À travers cette crise de couple, elle essaye aussi de penser à comment résoudre cette situation pour que le plus de personnes possibles puissent vivre heureuses. Juulia veut être une meilleure personne, et même si c’est difficile, je trouve cet effort admirable et inspirant. Juulia grandit en tant que personne pendant le film. Elle gagne en confiance, réalise et fait face à de nouvelles choses, et obtient aussi beaucoup de bien dans sa vie.

 

Selma, le personnage de Juulia était-il inspiré de la vie réelle ?

Personne en particulier. Sa profession était une chose importante que je voulais pour son personnage. Juulia occupe une fonction publique à travers laquelle elle essaye de construire un monde meilleur, en tout cas dans sa tête, et elle a du pouvoir. Ce sont des choses qui me paraissaient importantes dès le début. Il y a donc sans doute des modèles, mais personne en particulier.

Alma Pöysti playing Juulia
Alma Pöysti © Mitro Härkönen / Tuffi Films

Alma, l’amour est aussi un thème central de votre rôle dans le film Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki. Comment peut-on jouer l’amour, et comment s’y préparer ? Quel rôle ont vos co-acteurs pour vous permettre de transmettre de telles émotions ? 

Il suffit d’aimer. Ce qui dans ces deux cas n’était pas du tout difficile ! L’amour a de multiples facettes, il peut ressembler à celui de Kaurismäki ou à celui de Vilhunen. Mais bien sûr, tout dépend de la personne avec qui vous êtes. La réponse est toujours en l’autre, et c’est ce qui se passe entre nous qui est intéressant. Il faut juste être vraiment ouvert, sensible et parfois courageux pour pouvoir être avec quelqu’un sans se cacher derrière un masque. Avec Eero, le processus a été long et génial pour construire un mariage de vingt ans de manière convaincante. La façon d’être ensemble au quotidien, du ton de la voix aux petits gestes.

La dynamique du groupe aussi était super. Par exemple, la scène du café avec Enni et Matias. C’est très amusant de jouer avec des acteurs comme Eero et Oona. C’était un jour de fête quand nous avons pu jouer cette scène. Nous étions tous très émotifs, c’était à la fois amusant et triste. C’était comme si tout le monde était sur ses propres montagnes russes, et il y avait toutes ces émotions qui se mélangeaient. 

En plus, le fait que Marja-Riitta Mäkelä soit l’une de nos coordinatrices d’intimité sur ce projet a été bien utile et nous avions une très bonne méthode de répétition avec elle. Nous avons pu explorer et l’ambiance était détendue, nous n’avions pas l’impression de devoir tout le temps réussir. C’est ce qui rend les choses intéressantes. Et c’est génial de travailler avec Selma, car elle se soucie des acteurs et de la communauté. L’idée que le tout est plus grand que la somme de ses différentes parties. C’est une manière très généreuse et courageuse de travailler.

 

Selma, à propos de votre style de réalisation. Quelle place laissez-vous à l’intuition et à l’improvisation quand vous tournez ?

Selma : Le script donne un cadre clair à la scène, de sorte que l’improvisation ne l’emmène pas dans une direction complètement différente. De cette manière, le script donne un cadre, mais les acteurs ont beaucoup de liberté à l’intérieur de celui-ci. L’une des tâches les plus importantes pour un réalisateur est probablement de voir ce qu’il se passe dans le plan, et de savoir si ce que proposent les acteurs correspond au film. Quelque intuition ou compréhension de la scène que j’ai écrite m’indique qu’il faut qu’elle prenne une direction plutôt qu’une autre. C’est une sorte de léger coup de pouce, car il est aussi important que les scènes prennent vie naturellement. Souvent, avec leur propre intuition, les acteurs apportent aux scènes des choses que je n’aurais pas pu imaginer moi-même. Il n’y a pas d’intérêt à microgérer les scènes. C’est une sorte de danse où l’on encourage et l’on reçoit.

Alma : Et Selma, tu fais partie des rares personnes qui peuvent créer une atmosphère fluide sur le plateau. Alors si on a l’impression d’aller dans la mauvaise direction, ce n’est pas une erreur. Créer une atmosphère est une chose si délicate et importante.

Selma : Je suis inspirée par cette sorte de sentiment de chute libre. C’est pourquoi j’ose lâcher prise parfois. Par exemple, cette fameuse scène du café entre Matias, Enni et Juulia. C’était un jour de fête pour moi aussi, quand les acteurs nous ont offert ce merveilleux cadeau. J’ai trouvé ça un peu bizarre et j’ai ri. Puis, je me suis dit qu’il fallait juste que je les laisse faire.

Alma : C’était un peu comme du jazz.

Selma : Oui, exactement, c’était une sorte de free jazz ! C’était aussi un grand soulagement pour moi de sentir que les quatre acteurs faisaient le même film que moi pratiquement depuis le début. Ils ont d’une certaine manière compris les différentes nuances qui s’entrecroisent dans le scénario.

Enni (Oona Airola), Juulia (Alma Pöysti) & Matias (Eero Milonoff) © Mitro Härkönen /Tuffi Films

Passons maintenant à l’accueil et à la distribution du film. Les films finlandais sont populaires en France. Alma, vous avez joué dans plusieurs de ces succès. D’après vous, qu’est-ce qui explique le succès des films finlandais en France ?

Selma : Alma Pöysti ! (rire)

Alma : Ils osent être originaux, c’est peut-être pour ça. Ils ont un style qui leur est propre. Ils ne suivent pas les tendances. C’est probablement ce qui attire et fascine aussi les gens en dehors de la Finlande.

Selma : Je dirais la même chose. Les cinéastes finlandais ont la liberté de faire des films qui explorent le septième art avec audace. Ils font des films qui leur ressemblent et prennent des risques. Ils font donc des films sans attentes de profits énormes, en privilégiant l’art cinématographique. Cela porte ses fruits et peut attirer le public. Et je pense que pour un petit pays comme la Finlande, c’est le seul moyen. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour faire le genre de spectacle calculé qu’on peut faire à Hollywood, et qui attire beaucoup de spectateurs juste parce qu’il y a des paillettes, et cetera dans le film.

Alma : Et ce qui est bien de nos jours, bien que j’aime les films d’Aki Kaurismäki, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de ses films. Aujourd’hui, les films finlandais sont diversifiés. Oui, il reste du travail en termes de diversité, mais je pense que nous allons dans une bonne direction.

Selma : Et aussi, les gens sont maintenant très compétents dans le domaine. Ils s’attaquent courageusement à des sujets qui les passionnent, et les films traitent des questions que personne n’a abordé sous cet angle auparavant. Ils sont précis, surprenants et radicaux.

Alma : Et étranges aussi !

 

Le titre du film est Neljä pientä aikuista, qui signifie “quatre petits adultes” en finnois, et a été traduit Amours à la finlandaise en français. Qu’y a-t-il de “finlandais” dans ce film ? 

Ce que j’ai appris de mes connaissances et des experts en relations que j’ai interrogés pour ce film, c’est qu’en Finlande la discussion autour du polyamour est très active comparée à bien d’autres pays, comme la Suède. La Finlande est apparemment une sorte de pays pionnier dans le domaine des relations polyamoureuses éthiques. Toutes les semaines, on peut lire quelque chose dans la presse sur les relations qui se réfèrent au polyamour. De ce point de vue, le titre du film n’est donc pas totalement incorrect. Je pense que l’une des explications est que, bien que de nombreux problèmes persistent, l’égalité entre les genres a progressé à bien des égards en Finlande.

Alma : Rien à ajouter. Je pensais aussi à l’égalité.

Retrouvez Amours à la finlandaise au cinéma en France à partir du 4 janvier 2024.

Texte par Saara Lehtonen