Tiia Kasurinen est une artiste et chorégraphe basée à Helsinki, diplômée de l’Université des Arts de Stockholm en 2017. Elle vient d’effectuer une résidence à la Cité des Arts de Paris et travaille sur sa dernière pièce, Courtship Display (Birds of Paradise), dont la première est prévue en Finlande en 2026, ainsi que sur Songbird, une pièce solo dont la première aura lieu au printemps 2025 à Malmö. Dans son travail, Kasurinen s’intéresse à des thèmes tels que l’identité, le genre, le regard et la culture pop, qu’elle explore à travers le maquillage théâtral, la transformation visuelle et le mouvement.

Nous avons eu l’occasion de suivre son travail aux studios de l’Atelier de Paris / CDCN, Centre de développement chorégraphique national, et de discuter de sa résidence à la Cité des Arts ainsi que des thèmes principaux de sa dernière pièce.

 

Vous êtes en résidence à la Cité des Arts de Paris. Pourriez-vous nous parler un peu des chorégraphies sur lesquelles vous travaillez actuellement ?

Je travaille actuellement sur deux œuvres en résidence à la Cité internationale des arts à Paris. Courtship Display (Birds of Paradise) est une œuvre collective dont la première aura lieu en Finlande en 2026. Le pilote a été présenté en juin dernier à Paris lors de la finale du concours de chorégraphie Danse Élargie. Songbird est une œuvre solo dont la première aura lieu en avril en Suède et en juin en Finlande.

 

Pourriez-vous nous en dire plus sur le travail en résidence et ce que cela signifie pour vous ?

L’envie de travailler en résidence est née du besoin d’un studio. Travailler dans la danse nécessite souvent un grand espace et il est irréaliste d’en avoir un en permanence. Les résidences m’ont permis de travailler dans de nouveaux environnements et des espaces différents. Je trouve que m’éloigner de chez moi me permet de mieux me concentrer, comme si j’étais dans une sorte de bulle de résidence, où les responsabilités quotidiennes et sociales n’existent pas. Un nouvel environnement et par exemple une nouvelle langue et façon de communiquer, peuvent être inspirants et stimuler mes pensées.

 

Vous travaillez également sur vos projets à l’Atelier de Paris / CDCN depuis deux semaines. Comment avez-vous vécu cette expérience et avez-vous le sentiment qu’un espace particulier influence votre travail dans une direction particulière ?

Le studio de danse de l’Atelier de Paris est particulièrement chaleureux. Il m’a inspiré à me ressourcer et m’a rappelé différentes manières de bouger. L’espace, vaste, lumineux et chaleureux, me rappelle les studios de danse de mon université et permet d’appliquer les techniques de mouvement que j’ai pratiquées pendant mes études.

J’y ai beaucoup dansé et je me suis souvenue de différentes techniques de danse. Au lieu de m’enfermer dans des chorégraphies, j’ai essayé de m’ouvrir à divers matériaux. Cela m’a semblé important, car le travail d’artiste est souvent étroitement lié à la production, ce qui peut avoir pour effet de tronquer son propre langage gestuel. Cette semaine, j’ai essayé de me rappeler toutes les manières dont je peux bouger et je sens que cet espace était nécessaire pour cela.

 

Quels thèmes abordent vos nouvelles œuvres ? Les titres des deux œuvres font référence aux oiseaux. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Ces titres font référence aux oiseaux par hasard, car aucune des deux œuvres n’est véritablement axée sur la nature. Courtship Display (Birds of Paradise) fait cependant plus clairement référence aux oiseaux, et plus particulièrement aux oiseaux de paradis colorés d’Océanie. Je me suis intéressée à ces oiseaux flamboyants et spectaculaires il y a longtemps, en particulier aux mâles de l’espèce qui réalisent des parades nuptiales folles. Je pense que ce sont des’ oiseaux drag.

Je trouve intéressant d’explorer ce que les parades nuptiales suggèrent sur les rôles de genre socialement construits, et sur la nature genrée du mouvement lorsque la parade est transposée au corps humain ou dans le monde du drag.

L’œuvre solo Songbird est inspirée par le travail avec le son. Avec l’album que j’ai réalisé pour mon œuvre précédente ONSTAGE – The Concert avec le concepteur sonore Olli Lautiola, j’ai pris des cours de chant et me suis intéressée à l’utilisation de ma voix sur scène. “Songbird” est le surnom d’un personnage féminin qui chante ou utilise sa propre voix. J’aime ce nom, il est sarcastique à mes yeux et crée un contraste avec les univers dans lesquels l’œuvre peut parfois évoluer.

Plus tard, après avoir réalisé le lien entre les oiseaux et les œuvres, je les ai envisagées comme une série. Courtship Display (Birds of Paradise) traite de l’univers masculin des drag-kings, tandis que Songbird est un personnage à la construction très féminine. J’ai le sentiment que les œuvres s’influencent mutuellement en ce sens.

 

Dans vos œuvres précédentes, vous avez également abordé des sujets liés au genre, tels que les performances féminines sur les réseaux sociaux et l’esthétique ultra-féminine. Cette fois, vous avez choisi la masculinité comme thème central de votre nouvelle œuvre. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Les concepts et stéréotypes de la féminité m’ont naturellement intéressée à travers ma propre vie et mes expériences. Courtship Display (Birds of Paradise) est comme un atterrissage en douceur vers la masculinité, car les oiseaux mâles que je mets en scène dans l’œuvre et leurs parades nuptiales paraissent très peu masculins du point de vue du monde humain.

Collaborer avec d’autres artistes a permis d’approfondir les thèmes de la masculinité et de l’esthétique drag king de l’œuvre, notamment avec l’interprète et drag king Lauri Lohi et le créateur textile Leevi Ikäheimo. Les costumes de la performance sont issus de la collection No Pain No Glamour d’Ikäheimo.

Ces costumes sont aussi en partie à l’origine de l’œuvre. Le thème de l’oiseau de paradis me trottait dans la tête depuis longtemps, et un jour j’ai eu l’idée que Leevi pourrait me prêter des costumes pour la représentation. La collection d’Ikäheimo joue avec une masculinité extrême et une image irréaliste de celle-ci. À travers ces costumes, les représentations humaines de la masculinité transparaissent clairement dans l’œuvre. Celle-ci s’est ainsi élargie à toutes les formes de parades nuptiales perçues comme masculines, qui peuvent, entre les individus, incarner, par exemple, des hiérarchies de violence et de domination.

De plus, la danse commerciale m’a beaucoup inspirée. Il y a quelque chose de menaçant et de puissant dans ce genre de danse, qui se manifeste par la féminité plutôt que par la masculinité. Je perçois une certaine cohésion entre les parades nuptiales et la danse commerciale, une qualité qui se reflète dans mon travail. Je trouve fascinant de me demander si la danse commerciale est en quelque sorte une parade nuptiale moderne, où le corps est placé dans certaines positions et où le mouvement vise à être beau et séduisant.

 

Vous avez mentionné que dans votre œuvre Courtship Display (Birds of Paradise), les tenues proviennent d’une collection du créateur textile Leevi Ikäheimo. Quel rôle jouent les costumes et le maquillage dans votre travail ?

Je m’intéresse à un univers visuel fort et reconnaissable. Parfois, une certaine transformation est devenue pour moi un rituel avant de commencer à travailler, elle m’inspire et me pousse à aborder les choses différemment. Les références visuelles sont aussi un moyen de donner au spectateur le sentiment d’être intégré à l’œuvre.

Je considère mes œuvres un peu comme des photographies vivantes. Je cherche à illustrer l’image du temps et ce que je vois autour de moi à cet instant précis par la transformation visuelle et le mouvement. Le résultat peut aussi être une version très exagérée de l’environnement.

 

Vos œuvres abordent souvent des phénomènes actuels, comme Internet, les réseaux sociaux et la culture pop. Vous avez mentionné lors de précédentes interviews qu’Internet fait partie intégrante de votre vie et de votre identité. Y a-t-il des critiques de ces phénomènes dans vos œuvres ?

J’ai une attitude positive à leur égard, car ils font partie intégrante de ma vie. Bien qu’ils comportent aussi des aspects négatifs, je ne les critique pas dans mes œuvres. Je trouve intéressant de mettre en lumière une certaine vision de l’époque, et Internet a permis à de nombreuses personnes de s’exprimer à leur manière.

Je trouve qu’Internet est une bonne plateforme d’expression, où je peux choisir la manière dont je me présente ou m’exprime. Bien sûr, cela implique aussi des effets secondaires, comme les algorithmes qui nous alimentent en informations et leur impact sur l’expression personnelle.

Ma priorité n’est pas de créer des œuvres critiques d’Internet ou des œuvres critiques en général. Ma prochaine œuvre, Courtship Display (Birds of Paradise), n’est pas une œuvre qui critique la masculinité, mais plutôt un collage de choses existantes. L’œuvre peut évoquer des émotions dans un sens ou dans l’autre, et la partie intéressante de l’œuvre commence dans l’expérience et l’interprétation du public.

Entretien par Saija Kangasniemi et Linda Peltola

 

Le projet Courtship Display (Birds of Paradise) est soutenu par l’Institut finlandais dans le cadre de l’initiative pARTir, financée par l’Union européenne – NextGenerationEU.