L’Institut finlandais et le fabricant de textiles Lapuan Kankurit collaborent avec succès depuis de nombreuses années. Nous nous sommes entretenus avec une des propriétaires, Jaana Hjelt, pour discuter de l’histoire de l’entreprise, des évolutions dans l’industrie textile finlandaise et des raisons derrière le succès de leurs produits dans le monde entier.

 

Pouvez-vous nous raconter en quelques mots l’histoire de Lapuan Kankurit ?

Lapuan Kankurit fête cette année son 50e anniversaire. La société a été fondée en 1973. Mais notre histoire remonte à une centaine d’années, à savoir en 1917, l’année de l’indépendance de la Finlande. C’est à cette époque que le père de la grand-mère de mon mari Esko, qui est notre directeur général actuel, a fondé une manufacture textile qui fabriquait des chaussons en feutre à base de laine. À cette époque, ils fabriquaient un grand nombre de couvertures en laine pour l’armée. Plus tard, le père d’Esko est entré dans l’entreprise alors qu’il n’avait que 15 ans. Dans les années 1970, il a voulu donner une autre direction à l’entreprise et la faire évoluer vers une activité de fabrication de textiles plus spécialisée, au carrefour de l’art et de l’industrie textile. En 1973, il fonde Lapuan Kankurit, une entreprise spécialisée dans le tissage de motifs sur tissu. 

J’ai rejoint Lapuan kankurit au début du nouveau millénaire, lorsque les parents d’Esko sont partis à la retraite. Aujourd’hui, cela fait plus de 20 ans que nous gérons ensemble cette société. Notre entreprise a considérablement évolué, mais notre mission centrale est toujours de faire progresser nos techniques plutôt que d’élargir notre activité. Bien des choses se sont passées en 20 ans !

 

Vous travaillez avec l’Institut finlandais depuis plusieurs années. Que pensez-vous de cette collaboration entre la Finlande et Paris ? 

La collaboration avec l’Institut finlandais fut une expérience merveilleuse. Nous sommes venus à Paris pour la première fois en 2011 dans le cadre du salon Maison & Objet. Nous avons collaboré pour la première fois avec l’Institut finlandais autour du projet Koti en 2017, année où la Finlande célébrait le centenaire de son indépendance. Lapuan kankurit a fourni les textiles pour les petites cabines dans lesquelles les personnes pouvaient dormir. Nous avons invité quelques journalistes et nous avons même passé la nuit dans l’une des cabines. Au cours de nos voyages en France, nous en avons énormément appris sur le pays et nous avons reçu de précieux conseils.

 

Vous bénéficiez d’un second lien avec la France puisque le lin utilisé par Lapuan kankurit provient de Normandie. Pourquoi avez-vous choisi de le fabriquer là-bas ? 

La Normandie est une région qui assure 80 % de la production mondiale de lin. Au début de notre aventure entrepreneuriale, la Finlande comptait encore quelques filières de filature de lin mais elles ont depuis disparu. Nous avons alors dû trouver des producteur.rice.s de lin en dehors du pays. En tant qu’entreprise textile en pleine croissance et développement, nous avons remarqué que nous étions assez isolés en Finlande ; nous avons dû chercher des conseils, des matériaux et des machines au-delà des frontières finlandaises. Dans le même temps, nous avons découvert une organisation baptisée Masters of Linen qui veille au maintien de l’industrie européenne du lin en Europe. À ce moment-là, nous avons décidé de nous approvisionner en lin sans franchir les frontières de l’Europe. Nous nous sommes engagés à n’utiliser que du lin fabriqué à 100 % en Europe.

© Lapuan Kankurit

Dans quelle mesure la notion de durabilité se reflète-t-elle dans le processus de fabrication de vos produits ? 

Je dirais qu’elle est le résultat de multiples petits efforts. Il y a tellement de formes de responsabilité, comme par exemple la responsabilité environnementale ou la responsabilité de l’entreprise. En tant qu’entreprise familiale, nos valeurs sont naturellement responsables. Les personnes qui travaillent pour nous sont particulièrement importantes et, bien sûr, la nature aussi, puisque nous employons des matériaux naturels. La durabilité et la responsabilité sont en fait tout un processus. Je pense que personne n’est jamais vraiment au point dans ce domaine, mais les efforts font la différence. Qu’il s’agisse d’une petite ou d’une grande décision, comme celle de commander nos cartes de visite ; voulons-nous les commander plus loin à un prix plus avantageux, ou les acheter à des fournisseurs locaux ? La durabilité est un ensemble de petits détails qui forment un plus grand tout.

Le fait d’avoir notre propre moulin permet également de rendre notre entreprise plus durable. Il est difficile de concevoir à quel point il est compliqué de garantir la durabilité lorsqu’on a toujours été un fabricant et non un producteur, sans connaître le cycle complet des produits, de la matière première au produit fini. Nous savons d’où proviennent nos matériaux et nous sommes fiers de pouvoir maintenir notre fabrication textile en Finlande. La situation serait dramatique si la totalité de la production textile finlandaise se trouvait dans un pays lointain, où personne ne serait en mesure de voir le processus de fabrication. Nous pensons qu’il est important de transmettre ce genre de savoir-faire et de connaissances.

 

Lapuan kankurit compte de nombreux distributeurs en Finlande et à l’étranger et a remporté plusieurs prix dans le domaine du design. Qu’est-ce qui rend vos produits si populaires dans le monde entier ?

Je pense que cela vient de notre différence. Le fait d’avoir notre propre atelier de tissage nous a permis d’expérimenter diverses techniques et innovations au sein d’une production à petite échelle. Voilà l’essence même de notre activité : la fabrication de textiles spécialisés. Associé à un design scandinave et un aspect naturel, on obtient des produits que l’on ne trouve pas partout.

 

Quelles sont les tendances actuelles dans l’industrie textile finlandaise ?

Le développement durable et la démarche écologique se sont bel et bien imposés. Citons également l’économie circulaire, qui jouera bien entendu un rôle très important. Nous prenons cela en compte dès le processus de fabrication, en essayant d’éviter tout gaspillage lors du découpage de nos tissus. Quand il reste un peu de tissu, nous réalisons de petites séries de produits « zéro déchet ». La laine est pour nous le matériau de demain, elle est durable, se nettoie naturellement et peut être recyclée très facilement. Avec notre propre filature, nous pouvons recycler la laine qui a déjà été utilisée. L’économie circulaire est pleine de possibilités.

© Lapuan Kankurit

Avez-vous toujours su que vous alliez suivre les traces de vos prédécesseurs et travailler dans l’industrie textile ?

Esko a toujours affirmé penser ne rien pouvoir faire d’autre, compte tenu du fait qu’il avait grandi entouré par la fabrication textile. Pour ma part, j’étais passionnée par le design et l’internalisation, choses que je peux approfondir dans mon travail actuel. Notre travail réunit bon nombre de nos intérêts et nous a toujours passionnés. Plutôt que de trop nous concentrer sur l’aspect commercial, nous nous passionnons pour la fabrication de beaux textiles dans un esprit de durabilité.

 

Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ? 

Je pense que la création de nouveaux produits nous stimule le plus. Notre collaboration avec l’université d’Aalto représente également une immense source d’inspiration. À travers cette collaboration, les étudiant.e.s nous font part de leurs perspectives et de leurs idées sur l’industrie textile. Cette collaboration apporte à l’entreprise un regain d’énergie, dans la mesure où ils nous aident à suivre les tendances du moment. Il arrive que certain.e.s étudiant.e.s passent une semaine dans notre usine de tissage pour se familiariser avec le processus de fabrication. Grâce à cette collaboration, nous avons eu la chance de rencontrer d’incroyables designers.euses qui ont conçu de magnifiques textiles pour nous. Nous nous considérons comme une sorte de tremplin pour les jeunes créateurs.rices et nous sommes très fiers de pouvoir suivre leurs progrès.

 

 

Interview : Helmi Anttila
Traduction en français : Thibault Semblat