Irmeli Debarle, experte du cinéma finlandais en France, est la personne derrière la sélection des cycles de projections à l’Institut finlandais. Parmi ses nombreux projets figure le festival La Finlande en trois films, organisé chaque année au cinéma Reflet Médicis à Paris. Nous nous sommes entretenus avec elle pour en savoir plus sur son parcours, ses projets et ses réflexions autour du cinéma finlandais. 

 

Hei Irmeli ! Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ? 

Mon parcours est très long. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie, et ça va faire presque 50 ans que je vis ici à Paris. J’ai fait des études toute ma vie. Comment je me suis intéressée au cinéma ? J’ai commencé à travailler avec Aki Kaurismäki en 1985, et évidemment, par la suite le cinéma m’a de plus en plus intéressée. Comme j’avais fait d’autres études, notamment de littérature américaine, de langues et d’histoire de l’art, je me suis inscrite en cinéma comme ça. J’ai soutenu une thèse sur le réalisateur Teuvo Tulio en 2013, qui est un auteur incontournable du cinéma finlandais. 

Cela fait déjà 16 ans que j’organise un petit festival au Reflet Médicis, qui est à côté de l’Institut finlandais. Je l’ai intitulé La Finlande en trois films, quoique depuis deux ans, je présente quatre films. J’y montre des films finlandais qui ne sont pas distribués en France pour promouvoir le cinéma finlandais avec la Fondation du film finlandais. 

J’ai également travaillé comme interprète, et c’est vrai que j’ai traduit beaucoup de films. La production en Finlande n’est pas immense, peut-être une trentaine de fictions par an. Je fais ça depuis les années 80, donc j’ai quand même dû traduire plusieurs centaines de films. Comme chaque année je sous-titre les films que je présente au festival, petit à petit j’ai commencé à en avoir une collection. C’est pour ça que je les propose aux festivals en France, je suis allée un peu partout pour les présenter. 

À part ça, j’ai une carte de guide-interprète nationale. Avant, je guidais beaucoup dans les musées partout en France. C’est vrai que j’ai fait plusieurs métiers, je suis une personne très curieuse et je n’ai jamais travaillé dans un endroit fixe. Une fois que quelque chose marchait bien, j’ai toujours voulu faire autre chose. C’est à peu près mon parcours en quelques mots. 

 

Comment a commencé le projet de La Finlande en trois films

Ce projet a commencé par un rêve. À l’époque, je faisais déjà pas mal de choses, et j’ai rêvé que le ministre de la Culture finlandais me suggérait de faire ça un peu plus officiellement. Je suis alors allée voir le directeur du Reflet Médicis, et ensuite j’ai parlé avec Irina Krohn, qui à l’époque était la directrice de la Fondation du film finlandais. Elle m’a tout de suite demandé si je voulais être nommée Ambassadrice du cinéma en France. J’ai dit que je ne voulais aucun titre, mais que j’aimerais bien montrer des films finlandais en France. Il y en a qui passent dans les festivals, mais c’est difficile d’avoir une distribution en salle. Elle a dit, “Pourquoi pas ?”, et ça a commencé comme ça. 

 

L’automne dernier, nous avons présenté à l’Institut finlandais une rétrospective des films d’Aki Kaurismäki, avec qui vous avez beaucoup travaillé. En quoi consiste votre collaboration? 

En 1985, Aki m’avait demandé de traduire son film Calamari Union et ça a commencé à ce moment-là. J’ai traduit tous ses films et je suis son interprète quand il vient en France. Aki aime travailler avec des gens qu’il connaît bien, un peu comme une famille autour de lui. On a vraiment travaillé sur deux films en étroite collaboration : La Vie de bohème, tourné à Paris, et plus tard Le Havre, tourné au Havre. Aki a écrit le manuscrit en finnois et je l’ai traduit, et on a tourné en français. 

 

Vous travaillez aussi avec le cinéaste Markku Lehmuskallio, dont le film La Danse du corbeau fait partie du cycle de projections de l’automne 2024 à l’Institut finlandais. Pouvez-vous nous en dire plus sur lui et sur votre travail ensemble ? 

Il y a environ 15 ans, j’ai été invitée au Festival international du film de la Rochelle pour être son interprète. Il a fait des films dans le monde arctique et en Sibérie du nord sur le peuple autochtone des Nénètses. Là-bas, il a rencontré Anastasia Lapsui, qui l’a introduit dans sa culture. Sa façon de tourner consiste à vivre avec ces gens et observer ce qu’ils font dans la toundra. Quand certaines tâches se répètent, il les filme. Grâce à Anastasia, il réussit à véritablement montrer la culture des Nénètses qui est en train de disparaître. Je pense que les films de Markku vont rester, parce qu’ils ne sont pas liés au temps. Ce sont des témoignages précieux. 

J’ai commencé à m’occuper un peu des affaires de Markku et Anastasia en France. Nous avons pas mal voyagé dans les festivals français. Quand il y a eu des débats, les gens ne voulaient plus repartir, tellement c’était intéressant. Ici à l’Institut finlandais, j’ai déjà montré leurs films il y a quelques années, et les spectateurs m’ont remercié en me disant que c’était formidable de voir ces films. Et au mois d’octobre à l’Institut finlandais, on va voir La Danse du corbeau, le premier film de Markku. C’est un film qui n’a jamais été montré à Paris.

 

Êtes-vous déjà passée de l’autre côté de la caméra ? 

Oui, pour La Vie de bohème ! J’étais toujours à côté d’Aki et des acteurs, parce qu’ils parlaient français et pas lui. Un jour, pendant le tournage, il m’a dit “demain, tu seras la secrétaire de Samuel Fuller.” J’ai dit, “mais comment ça, est-ce que j’ai l’air d’une secrétaire ?” et il m’a répondu, “et selon toi, Samuel Fuller a l’air d’un empereur du sucre ?”. Après, j’ai regardé les tailleurs chez moi, j’en ai montré un vert à Aki et il a dit d’accord. Au début de sa carrière, tout le monde portait ses propres vêtements. J’étais complètement figurante parce que je ne parlais pas, je faisais la sténo dans cette scène de réunion avec Samuel Fuller et André Wilms. 

Markku Lehmuskallio m’a aussi demandé si je pouvais jouer dans Tsamo. J’ai dit que je n’étais pas du tout actrice, que ça n’allait pas être bien pour le film, mais qu’il pouvait me donner un tout petit rôle. Alors il m’a donné le rôle de Siiri, qui n’avait que quelques répliques en suédois, parce que le film est en suédois. Tsamo est d’ailleurs un film que j’avais montré à La Finlande en trois films et que les gens ont énormément apprécié. 

À droite, Irmeli Debarle dans le film Tsamo, photo © Laura Oja

Comment êtes-vous arrivée en France, quel est votre lien avec ce pays ? 

Je n’ai jamais appris le français à l’école. Je viens d’une petite ville finlandaise qui s’appelle Imatra et il n’y avait pas de français. La France m’intéressait et j’ai commencé à prendre des cours particuliers très jeune. Plus tard, j’ai pris des cours au centre culturel à Helsinki et un jour, on m’a invité à Paris et voilà, je suis venue. À l’époque j’avais 22 ans et je ne savais pas du tout que j’allais passer toute ma vie d’adulte ici. 

Après ma première année en France, j’ai fait tous les cours de l’Alliance française. Puis, j’ai réussi à entrer à l’université et j’ai été étudiante toute ma vie, en étudiant diverses choses. 

 

Quel est votre manière de travailler avec la langue ? 

J’ai toujours quelqu’un qui me relit. Je ne pourrais jamais donner une phrase sans qu’elle soit relue. J’ai une amie sur qui je compte vraiment, elle est formidable avec la langue française. Elle relit tout ce que je traduis, quelque part on travaille ensemble. Je ne prétends absolument pas être traductrice. J’essaye seulement de faire de mon mieux pour interpréter. Par exemple avec Aki, notre collaboration a été facile parce qu’il a confiance en moi. J’essaye toujours de trouver ce qu’il a voulu dire, et s’il y a quelque chose que je ne comprends pas, je demande. C’est important de trouver des images équivalentes, même si ça ne va jamais être tout à fait ça. 

 

Quels sont les défis de la traduction du finnois au français ? 

Je trouve déjà que la traduction est impossible. On peut seulement, à mon avis, interpréter. Une langue n’est pas quelque chose de mécanique. Ce sont la culture finlandaise et la culture française qui sont très différentes. On n’a peut-être que 2000 kilomètres entre nous, mais je trouve que la distance mentale est beaucoup plus grande. On ne dit jamais les choses très directement en français, c’est toujours un peu sous-entendu, entre les lignes, tandis qu’en finnois, c’est un peu le contraire : on y va directement. Par exemple, on parle souvent à la première personne en finnois. En français, on évite ça. Les Français peuvent donc avoir l’impression que les Finlandais sont très concernés par eux-mêmes. Le rythme est aussi tellement différent. Les choses vont plus rapidement en français, alors il y a des malentendus. 

 

Selon vous, quelle est la place du cinéma finlandais dans le paysage cinématographique français aujourd’hui ? Comment voyez-vous le futur du film finlandais en France ? 

Je ne sais pas si cette place existe. Souvent, les gens me disent qu’ils connaissent un cinéaste finlandais et c’est toujours le même : Aki Kaurismäki. Il n’y en a pas beaucoup, de place. Je ne sais pas non plus si on peut dire qu’il y aura un avenir pour le cinéma finlandais dans le cinéma mondial. Dans les festivals, il y a des films qui sont vus, mais c’est toujours un public plutôt réduit. C’est difficile parce qu’il y a tellement de films qui sortent dans le monde, et il y a des films excellents qui ne sont jamais vu par personne. Je trouve que pour un film, le plus triste destin, c’est ne jamais être vu. Il y a eu des cas aussi dans le cinéma finlandais. Une fois, notamment, j’avais traduit un film, mais la boîte de production a fait faillite et personne n’a jamais vu le film. C’est bien malheureux, quand on pense à l’énergie, à l’argent et à tout ce qui va dans la fabrication d’un film. 

 

Voulez-vous encore nous dire un mot sur vous ? 

Je suis un peu tout et en même temps rien du tout. Une petite poussière dans cet univers. Il y a peut-être des gens qui se sentent importants, ce n’est pas mon cas. Mon ambition est surtout de montrer des films finlandais ici en France. Si les gens viennent me dire après une projection que c’était intéressant et que ça leur a apporté quelque chose, ça me suffit. Quelque part, je pense que je suis quelqu’un d’égoïste parce que j’ai toujours envie de tout partager. C’est un plaisir, je ne le fais pas pour avoir de la gloire ou de l’argent. Notre monde serait meilleur si on partageait plus. 

Texte de Linnéa Backas