Le réalisateur Ari Allansson est derrière l’idée du New Nordic Cinéma Voices, un événement entièrement consacré au cinéma contemporain nordique et présenté à l’Institut finlandais en 2023.  

Nous nous sommes installés avec lui pour discuter de son parcours dans le monde du cinéma ainsi que sa vision sur le futur du cinéma nordique. 

 

Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours et de ce qui vous a amené à Paris ?

Je suis venu étudier la production cinématographique à Paris en 2005. Avant cela, j’avais fait des études de cinéma plus théoriques pendant trois ans à l’Université de Stockholm. Je voulais en savoir plus sur la façon de faire des films, alors j’ai postulé à une école de cinéma ici à Paris et j’ai été accepté. C’est plus ou moins la raison pour laquelle je suis venu à Paris, c’était pour les films. Aujourd’hui, je travaille comme réalisateur. Après avoir terminé mes études, j’ai tout de suite commencé à travailler avec d’autres personnes dans la production cinématographique, en réalisant tous les petits boulots qui se sont présentés. 

Comment avez-vous eu l’idée de créer le New Nordic Cinema Voices ?

En réalité, nous l’avons déjà fait par le passé avec l’Institut finlandais, sous un autre nom : le Ciné club nordique. C’était il y a quelques années, avant la pandémie de Covid-19, nous avions organisé deux ou trois saisons consacrées à la projection de films provenant de pays nordiques à l’Institut finlandais. Le programme était plus ouvert que cette édition, puisque nous nous consacrons désormais aux films sortis récemment, cette année ou l’année dernière. Nous sommes à la recherche de films d’auteur, c’est-à-dire de films qui portent la marque de leur créateur.rice. Avec la programmation actuelle, nous nous efforçons de trouver un espace pour le nouveau cinéma nordique ici à Paris, ce qui peut parfois se révéler difficile, dans la mesure où le festival de Cannes présente déjà la plupart des nouveaux films nordiques qui sont prometteurs. Mais je crois qu’il existe quand même un segment niche à trouver et à exploiter. 

C’est plus ou moins l’idée derrière le New Nordic Cinéma Voices, qui consiste à créer une tribune pour les nouveaux films nordiques, ici à Paris, par d’autres moyens que les festivals déjà établis, comme le festival de Cannes. De nombreux films sont produits dans les pays nordiques et je pense qu’ils mériteraient d’être découverts par le plus grand nombre, a fortiori dans une ville comme Paris, réputée pour la qualité de sa scène culturelle et de son cinéma. C’est une ville formidable.

Pensez-vous qu’il y ait un certain intérêt pour les films nordiques à Paris ?

Je pense que oui. Je considère que les gens devraient toujours être intéressés par un bon film. Je crois que le cinéma nordique intéresse le public français rien que pour ses décors. Bien évidemment, un film qui se focalise trop sur le simple fait de montrer un paysage ne constitue plus un film, c’est quelque chose d’autre. Il y a donc une frontière à ne pas franchir. À mon avis, le public français s’intéresse ces dernières années de plus en plus à la vraie culture nordique, comme la culture urbaine et ses habitant.e.s. Je pense que cette situation est favorable aux artistes des pays nordiques, qui disposent d’un genre de miroir pour présenter leur travail et se voir, ainsi que leurs films ou leur art, à travers ces yeux. 

Je pense, par exemple, que la scène musicale islandaise qui a décollé avec Björk et Sigur Rós dans les années 1990 et 2000, a vraiment profité du fait que Björk soit devenue tellement populaire que les gens des autres pays ont commencé à se tourner vers l’Islande. Tout à coup, il y avait une sorte de nouvelle énergie ou de nouveau matériau à exploiter par les artistes. Un peu comme si un mur avait été abattu. 

Dans le cadre du New Nordic Cinéma Voices, nous réunissons tous les pays nordiques puisqu’il s’agit d’une collaboration entre les ambassades et les institutions nordiques ici à Paris. Dans ce programme, je suis à la recherche de quelque chose de novateur, ce qui explique le titre.

Qu’est-ce qui distingue le cinéma nordique du cinéma d’autres pays ?

Dans les pays nordiques, nous produisons chaque année moins de films que dans des pays comme la France, l’Allemagne ou l’Espagne. Nous sommes en effet dans de plus petits pays, donc les budgets ne sont pas aussi importants. Par exemple, l’Islande ne produit pas un grand nombre de longs métrages par an. Sur cette série de films qui voient effectivement le jour, il ne reste peut-être que deux ou trois vrais bons films, et encore, si c’est une très bonne année ! En Suède par exemple, j’ai constaté qu’il y avait des films particulièrement intéressants ces dernières années. Je pense que c’est notamment dû au fait qu’il y a quelques années, un effort délibéré a été entrepris en Suède pour se concentrer sur le cinéma d’avant-garde, moins commercial. Bien qu’il y ait un dialogue entre ces deux façons de faire des films, plus avant-gardiste et plus artistique ou plus commerciale.

Comment avez-vous choisi les films qui sont présentés dans le cadre du festival New Nordic Cinéma Voices ?

Il y a eu un dialogue entre les différentes institutions et, au terme du processus, la décision finale me revenait. Nous avons essayé de former un tout cohérent avec cette sélection. Certains films sont plus avant-gardistes, d’autres sont plus commerciaux. En fin de compte, lorsque vous avez regardé les différents films, vous pouvez avoir un aperçu du panorama de la création cinématographique dans les pays nordiques. 

Vous avez souligné la cohérence qui existe entre les différents films sélectionnés. Y a-t-il des thèmes ou des aspects récurrents qui se dégagent parmi les films proposés dans le cadre du festival ? Ou dans le cinéma nordique en général ?

Je reste toujours un peu sceptique quand on dit que les pays nordiques forment un seul et même ensemble. Nous tâchons de sélectionner de très bons films qui proposent quelque chose d’intéressant pour le public et nous les regroupons tous sous le terme parapluie « nordique », c’est comme si nous avions un projet commun. Je reconnais donc une certaine cohérence. Chaque pays a sa propre spécificité, qui est prise en compte dans le concept. À eux cinq, ces films forment un tout cohérent. Il y a une forte tradition documentaire au Danemark ainsi qu’en Suède. Sans oublier, bien sûr, la tradition du film noir et le Scandi Noir qui nous vient de Norvège et du Danemark, et plus récemment de Finlande et d’Islande. En Islande, je connais une personne sur deux qui écrit un thriller ou un roman policier dont l’action se déroule en hiver.

Le film norvégien traite de la culture des jeunes, un thème qui a connu un grand succès dans les pays nordiques. En Norvège, il existe un environnement qui favorise ce type d’approche, permettant aux jeunes de faire entendre leur voix et de susciter des débats. Le film suédois [Knocking] est une interprétation très intéressante du « Scandi noir », un phénomène qui s’est popularisé aux quatre coins du monde. Le film Knocking de Frida Kempff propose une expérience très intéressante, elle reprend un genre et en dégage quelque chose de tout à fait remarquable. Le film explore en profondeur la psyché des personnages.

Tous ces films constituent les pièces d’un puzzle plus vaste et je dirais que si vous les considérez comme un tout, vous pouvez vous rendre compte des thématiques et des tendances qui animent le cinéma nordique. Après tout, comme je l’ai dit plus tôt, j’hésite toujours un peu à parler des pays nordiques comme une entité propre, car ils sont tous très différents. Pour autant, nous partageons une certaine culture. 

Comment imaginez-vous l’avenir du cinéma nordique ?

Bonne question. Je crois, ou peut-être j’espère, qu’un genre de terreau est en train de se former pour que le cinéma puisse soulever des problématiques plus difficiles. Voilà là façon dont je vois les choses. Parallèlement, les musées se montrent très ouverts aux projections de films. Le Louvre, par exemple, le propose depuis déjà quelques années. Je suis sûr que c’est une tendance qui va se confirmer, en particulier pour le cinéma d’auteur. C’est aussi un sujet de réflexion en matière de production cinématographique, le public ne se limite pas seulement à la salle de cinéma. 

Je ne sais pas ce qu’il en est des genres. Le crime scandinave a connu un véritable engouement ces derniers temps. On en trouve des bons et des moins bons. A cela s’ajoute Netflix, la distribution en ligne et tout ce qui s’ensuit. Dans le cas du Danemark, par exemple, on essaie de se débarrasser de toutes ces productions Netflix parce que tous les professionnels du secteur étaient tellement préoccupés par Netflix qu’ils avaient du mal à réaliser leurs propres films. À mon avis, si un pays perd sa propre identité cinématographique dans le dédale des plateformes Netflix, HBO et Disney+, cela pourrait compromettre l’avenir des cinéastes de ce pays. 

Est-ce que vous pensez que le contexte international actuel, avec la guerre en Europe et la pandémie, peut avoir une influence sur la création cinématographique ?

Je pense que cette influence se fait déjà sentir. Certains films ne sont pas toujours explicites à ce sujet, mais il y a souvent une forme de sous-entendu latent. Bien sûr, il y a beaucoup de choses que l’on peut déduire d’un film et souvent, cela dépend de ce que l’on peut ressentir à ce moment-là. Bien souvent, un même film peut présenter quelque chose et chaque spectateur.rice perçoit une version différente du film, ce qui vaut surtout pour les films à vocation artistique. Vous pouvez vous faire votre propre idée du film et votre expérience personnelle devient partie intégrante du processus de création du film. Mais effectivement, les événements qui se produisent autour de nous ont forcément des retombées sur ce que nous faisons. Le cinéma est un médium très intéressant car il nous touche en plein cœur, un peu comme la musique. Je pense que le cinéma est comparable à une forme de rêve ; on peut accéder à beaucoup de choses à travers un film.

 

 

Interview : Helmi Anttila
Traduction en français : Thibault Semblat