Les textes de cet article appartiennent à notre IF publication qui sera distribuée gratuitement dans nos locaux à partir du 6 septembre 2019.

Mot de bienvenue de Johanna Råman

Le programme de l’Institut finlandais de l’automne 2019 offre une vue kaléidoscopique sur la vie culturelle sami dans toute sa diversité. A travers l’exposition de l’IF galerie, la programmation cinématographique mensuelle, la présente publication et diverses rencontres, l’Institut finlandais vous présente des voix et des thèmes actuels du pays Sami. Nous voulons, en les rendant connues dans le monde entier, contribuer à renforcer la position de ce peuple indigène, des langues et de la culture sami. On ne parle pas assez, dans les écoles finlandaises, de la culture et de l’histoire de cet unique peuple de l’Union européenne reconnu comme indigène et il serait souhaitable que dans les médias nationaux on entende une gamme de voix plus éclectique à ce sujet. L’ensemble du programme de l’automne ainsi que cette publication sont le fruit d’un dialogue continu avec les Samis.

La culture sami nous propose des sagesses et des modes de vie qui valent d’être entendus, entre autres une façon de vivre durable qui respecte la nature unique et fragile du Nord. Elle devient autrement cruciale à cette époque où le changement climatique ajoute aux enjeux de l’utilisation des terres arctiques. Il est impératif d’assurer la continuation de la culture et du mode de vie sami et d’améliorer leur situation. Le programme cinématographique de l’Institut finlandais de l’automne 2019 comprend par exemple le film de Marja Helander, Eatnanvuloš lottit (Les oiseaux à l’intérieur de la terre) qui examine le conflit entre le mode vie sami et la société moderne. La possession des terres, la consommation et le rapport qu’ont les êtres humains avec la nature, y jouent également un rôle important.

C’est un grand plaisir et un grand honneur de présenter au public de l’Institut finlandais des œuvres variées et de grande qualité issues de la culture sami actuelle qui est en plein essor, de plus en plus visible dans les médias, dans divers domaines artistiques ainsi que dans les débats sur la société en Finlande. En ce moment la culture sami nous intrigue et à raison. Le premier pas vers plus de respect et de compréhension est la connaissance de cette culture indigène unique.

Johanna Råman, Directrice de l’Institut finlandais

 


 

Editorial de Pirita Näkkäläjärvi

Au printemps 2018 j’ai été invitée par l’Institut culturel finlandais pour le Benelux à participer au projet Remembering 1918 à Bruxelles. J’y ai organisé un tour guidé sur les Samis dans le musée Maison de l’histoire européenne. La maison ne comprenait aucun objet sami, mais j’ai pu construire mon tour sur certains objets exposés tels que cartes, statues, la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU et photos mettant en scène des situations de colonisation en établissant des liens entre ceux-ci et l’histoire des Samis.

A la fin du tour, le public avait énormément de questions. J’ai notamment été marquée par les mots d’un homme finlandais de 50 ans qui m’a avoué avoir davantage appris en 45 minutes sur les Samis que pendant toute sa vie. « Il fallait venir jusqu’à Bruxelles pour ça », a-t-il dit en riant.

« La communauté et la culture sami sont extrêmement vigoureuses et le désir de préserver et transmettre la langue et la culture aux futures générations est très fort. »

Je rencontre des remarques similaires dans mon travail. On me dit souvent que je suis la première Sami que mes collègues n’aient jamais rencontrée et qu’on ne leur a rien appris sur les Samis à l’école.

Que veux-je donc raconter sur mon peuple ?

La communauté et la culture sami sont extrêmement vigoureuses et le désir de préserver et transmettre la langue et la culture aux futures générations est très fort. Or, les Samis et leur culture sont menacés et obligés de se battre pour continuer à exister. Les institutions de la société telles que l’éducation nationale, reflètent exclusivement la vision du monde finlandaise même si l’Etat finlandais se trouve sur les terres de deux peuples : les Finlandais et les Samis. De plus, les organismes ayant pour objectif de renforcer et reconstruire la culture sami manquent continuellement de ressources.

La transmission continue des traditions est primordiale car ce sont les traditions qui maintiennent en vie la culture et la communauté sami. Les traditions sont au cœur de nos valeurs. Par traditions nous n’entendons toutefois pas les objets poussiéreux d’un musée, mais quelque chose de muable qui s’adapte au monde changeant sans en perdre son essence pour autant. L’artisanat traditionnel sami vivant, duodji, les professions traditionnelles comme l’élevage de rennes et la pêche, la tradition de joïk et les trois langues sami parlées en Finlande, sont très importants pour la communauté.

Image du court métrage « Árbi / Heritage » de Lada Suomenrinne. « Árbi » sera présenté à l’Institut finlandais le 26 septembre 2019. Árbi © Skabmagovat

« En Sápmi on parle en tout neuf langues sami. Trois d’entre elles – le sami du nord, le sami d’Inari et le skolt – sont parlées en Finlande. Ces neuf langues sont aujourd’hui en voie de disparition. Les locuteurs des langues sami se comprennent plus ou moins. »

Les Samis sont un peuple indigène qui a vécu au pays Sami avant qu’on ne dessine les frontières entre les Etats. La région natale des Samis, Sápmi, est une étendue vaste allant de la Péninsule de Kola du côté russe jusqu’à la Norvège et la Suède centrale. Les frontières entre la Finlande, la Suède, la Norvège et la Russie ont pourtant coupé Sápmi en quatre.

Il y a environ 10 400 Samis du côté finlandais. En Finlande, le nombre exact des Samis est connu car en 1962 on y a conduit un recensement de la population sami, alors que dans les autres pays nordiques celui-ci n’a pas abouti. On estime le nombre des Samis en Norvège à 50 000–65 000, en Suède à 20 000–30 000 et en Russie à 2000.

En Sápmi on parle en tout neuf langues sami. Trois d’entre elles – le sami du nord, le sami d’Inari et le skolt – sont parlées en Finlande. Ces neuf langues sont aujourd’hui en voie de disparition. Les locuteurs des langues sami se comprennent plus ou moins. En Sápmi périphérique on parle le sami du sud et le sami de Kiltinä et leurs locuteurs peinent à se comprendre, mais les locuteurs des langues avoisinantes comme le sami du nord et le sami d’Inari n’ont pas de mal à gulahallat, à savoir communiquer entre eux.

Les Samis sont le seul peuple indigène reconnu comme tel dans l’Union européenne. En Finlande leur statut de peuple indigène est inscrit dans la Constitution. Depuis 1995 les Samis ont le droit de cultiver et de développer leur langue et leur culture en Finlande en tant qu’un peuple indigène. Les Samis sont représentés dans des parlements par des personnes officiellement élues – Samediggi – ‘le Parlement sami’ en Finlande, en Norvège et en Suède.

Pourtant, les droits des Samis ne sont totalement respectés dans aucun pays nordique ni en Russie. Ils n’ont pas le droit de décider eux-mêmes des membres du peuple sami – c’est la Cour suprême qui en décide par exemple en Finlande. L’accord concernant la pêche sur la rivière Teno a été rédigé par les fonctionnaires norvégiens et finlandais ; les Samis n’ont pas eu le droit d’assister à la réunion. A la suite de cet accord les formes traditionnelles de la pêche de saumon des Samis ont été restreintes de 80 %, alors que la pêche pratiquée par les touristes seulement de 40 %. Les pétitions des Samis et des autres habitants n’ont pas été prises en compte lorsque le Conseil régional de Laponie a pris la décision de poursuivre le projet de ligne ferroviaire dans l’Arctique. La réalisation de la voie ferrée diviserait six coopératives d’élevage de rennes dans lesquelles on parle le sami du nord, le sami d’Inari et le skolt détruisant ainsi leur renniculture.

Des pays nordiques, seule la Norvège a ratifié la convention No 169 de l’OIT relative aux droits des peuples autochtones. En Finlande et en Suède les gouvernements successifs repoussent la ratification de la convention qu’ils ont signée, trouvant chaque fois de nouveaux prétextes pour étudier les conditions préalables à la ratification.

Image du court métrage « Rockabilly » de Liselotte Wajstedt. « Rockabilly » sera présenté à l’Institut finlandais le 24 octobre 2019.

Le défi majeur des Samis est l’ignorance des autres. La majorité de la population se représente encore les Samis à travers les représentations stéréotypées issus des sketches humoristiques ou des rituels du genre « Baptême de Laponie ».

Aux vieux stéréotypes s’ajoute une nouvelle forme de désinformation qui dépeint les Samis comme un peuple conflictuel, inflammable et susceptible ; un peuple qui ne cesse de revendiquer tout en oppressant leurs « propres minorités ». Ces stéréotypes ont une influence même sur les décideurs et ils freinent l’évolution des droits des Samis en Finlande. La toute dernière construction mentale stéréotypée véhicule l’idée que les Samis ne seraient pas capables de gérer tout seuls leurs ressources naturelles et que, sans surveillance, ils épuiseraient les rivières et dévasteraient les collines à cause de la surpêche et du surpâturage.

« L’art est une excellente manière d’approfondir la compréhension de la culture sami. »

Les sociétés occidentales auraient beaucoup à apprendre des Samis dont le mode de vie est encore très proche de la nature. La philosophie sami consiste à limiter l’utilisation des ressources naturelles au strict minimum. On ne laisse pas de traces. Les générations suivantes doivent pouvoir continuer à vivre des métiers traditionnels. Nous avons besoin des Samis pour lutter contre le réchauffement climatique. Ils en ressentent les effets dès aujourd’hui dans leur vie quotidienne et leurs métiers, alors ils pourraient s’associer aux chercheurs pour développer des solutions au changement climatique.

L’art est une excellente manière d’approfondir la compréhension de la culture sami. L’univers artistique sami est versatile et il couvre plusieurs genres allant de la musique aux arts visuels en passant par les beaux-arts. Les Samis cherchent à élargir les limites des domaines artistiques et au sein de la communauté sami on discute de la position de l’art tiré de duodji, l’artisanat traditionnel sami.

Bien que la culture sami soit peu connue par les populations majoritaires, il est possible de se tenir au courant des actualités de la société sami grâce aux médias sami en finnois, suédois et norvégien. Sur Internet, il y a de plus en plus de blogs qui décrivent la vie des Samis, analysent l’actualité et corrigent la désinformation. Sur les réseaux sociaux les hashtags #sápmi, #gákti et #duodji vous permettent facilement de participer à la vie quotidienne et aux fêtes des Samis. La culture sami n’aura jamais trop d’amis!

Pirita Näkkäläjärvi , conseillère en fusion-acquisition chez PwC

Pirita Näkkäläjärvi est une Sami spécialiste de la culture, des médias et de l’économie. Elle est originaire d’Inari et sa langue maternelle est le same du nord. Näkkäläjärvi a été élue la Sami de l’année 2017 en Finlande. Elle a œuvré sans relâche pour augmenter la visibilité des Samis dans les médias et pour améliorer leurs droits. Elle participe activement aux discussions sur la société, notamment sur les réseaux sociaux. Au cours de son mandat en tant que responsable de la section sami de la station radio nationale finlandaise (YLE) de 2012 à 2017, elle a renouvelé l’offre médiatique en langue same. En 2012 elle était membre du Parlement sami de Finlande. Actuellement Pirita Näkkäläjärvi vit à Helsinki et travaille comme conseillère en fusion-acquisition chez PwC. Précédemment, elle a occupé des postes financiers et stratégiques chez Merrill Lynch à Londres et chez Nokia, Booz & Company, Metso et Strategy& en Finlande.

 

Traduction : Janna Jalkanen et Paula Philip