Lorsque Miia Tervo a répondu à mon appel, elle m’a dit qu’elle était en train de marcher sur les bords de Rantavitikka à Rovaniemi, qu’elle allait chez sa mère. “J’ai genre vingt minutes pour discuter, après ça, j’ai promis d’aller construire un igloo”. Bien connue pour ses courts-métrages, Miia, née en 1980, a acquis plus de visibilité auprès du grand public ces derniers mois avec son film Aurora, sorti en salles en janvier dernier. Pendant quelques instants nous avons parlé de notre ville natale, Rovaniemi, en faisant défiler nos deux historiques familiaux pour savoir si nous n’avions pas un quelconque lien de parenté. Notre conversation s’est cependant rapidement dirigée sur Paris, quand Miia s’est soudain rappelée cet été 2007 où elle passait son temps en ville à écrire et à “déconner”.

Le début de notre conversation téléphonique donne un bon aperçu du monde de Miia : il y a plein de bonnes histoires, honnêtes, simples et vraies. Qu’il s’agisse de problèmes liés à la toxicomanie chez les femmes, aux questions de déracinement ou encore d’immigration, tout est abordé – et abordé directement. Aurora, le premier long-métrage de Miia, met justement ces thèmes en lumière. Mimosa Willamo y incarne Aurora, une jeune fille en proie à des problèmes d’addictions et incapable du moindre engagement, qui passe son temps à faire la fête quand elle ne travaille pas comme technicienne en pose d’ongles dans la Mecque des banlieues arctiques de Rovaniemi. Pourtant sa vie va prendre une toute nouvelle direction lorsqu’elle rencontre Darian (Amir Escandari), un immigrant qui essaie de s’acclimater à l’environnement glacé. Leur rencontre n’est pas simple, et demande même changements et ajustements de la part des deux personnages.

Miia raconte que le projet est parti d’un script intitulé Nakit silmillä (Des saucisses sur les yeux) sur lequel elle avait travaillé. On y narrait déjà l’histoire d’une jeune femme encline à différents problèmes d’addiction. Ce script ne devint pas un film, et Miia continuait de travailler sur plusieurs courts-métrages. Bientôt cependant, on lui proposa un script dont elle pourrait grandement puiser de l’inspiration : “ce n’était pas vraiment écrit pour en faire un film, mais il y avait beaucoup de bonnes idées et d’éléments desquels je me suis inspirée pour le personnage de Juha (Chike Ohanwe) dans le film Aurora”. Il est l’une des figures les mieux réussies du film : Ohanwe y joue le rôle d’un père de famille ouvertement raciste à l’encontre de Darian – bien que lui-même soit de couleur.

“J’ai commencé à être intéressée par l’idée de tourner une comédie romantique, par tout ce qu’on peut faire et expérimenter à l’intérieur des limites de ce genre : et comment bien le faire ! Ça ne doit pourtant pas être si compliqué de faire une putain d’histoire à l’eau de rose !”

Pendant le processus d’écriture, les éléments de ce qui aurait pu devenir une comédie dramatique ont commencé à se transformer en traits d’une comédie romantique, me dit Miia. Ça a été influencé par l’histoire de la cousine de la réalisatrice : elle avait rencontré un immigrant au supermarché local Prisma, et elle était tombée follement amoureuse de lui. “J’ai commencé à être intéressée par l’idée de tourner une comédie romantique, par tout ce qu’on peut faire et expérimenter à l’intérieur des limites de ce genre : et comment bien le faire ! Ça ne doit pourtant pas être si compliqué de faire une putain d’histoire à l’eau de rose !”. Pour autant, Miia préfère éviter les classifications excessives et dit de ses films qu’ils ne rentrent pas dans une seule case.

Les décors du film Aurora suivent les mêmes conventions que dans le dernier court-métrage de Miia, Santra ja puhuvat puut (Santra and The Talking Trees, 2013) : le cas d’Helsinki comme celui des grandes villes est mis de côté, remplacé par une étude plus poussée des campagnes, des banlieues et des petites villes. Selon Miia, le choix du lieu était inconscient et naturel : “Pour moi il est primordial de parler des choses et des mondes auxquels je me sens réellement connectée. Bien sûr je pourrais faire se dérouler un film dans la petite ville de Kerava par exemple, mais en fait le lieu de tournage ne peut pas être qu’un décor, l’environnement doit juste m’être familier”. L’image de Rovaniemi que diffuse le film Aurora dépasse heureusement l’idée clichée des aurores boréales et des rennes : la vraie vie, les joies et les peines, depuis les fenêtres des blocs d’immeubles. C’est une image familière de la femme dans toute sa simplicité que le film transmet, qui la présente tout aussi osée et crue que l’homme. “C’est venu vraiment naturellement. J’écrivais ce que je voyais. Tu sais, une femme est bien plus libre et indépendante ici que dans le sud. Le genre n’est pas un facteur déterminant : vous pouvez être obscènes et osées, et la plupart des femmes lapones le sont”.

Au moment de poser la question des rêves et des futurs projets de Miia, elle me répond en avoir beaucoup, la plupart encore en cours de développement. “Aurora ça a changé un tas de choses, et ce qui est super, c’est qu’on m’a proposé beaucoup de projets après. Et je suis pas vraiment le genre de personne qui va parler de ses films avant qu’ils ne soient finis. Ça vient peut être de la mentalité à Rovaniemi, on ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Un peu comme quand tu vas cueillir des baies, tu vois. C’est sûr que tu vas pas dire comme ça à quelqu’un que tu vas choper 80 litres de myrtilles. Mais une fois que tu les as les 80 litres, et que quelqu’un te demande combien tu en as, tu dis juste baaah pas mal. Et quand on te répond bah combien ? Baaaaah pas mal. Bah dis moi ! Baaaaah… Environ 80 litres.”

Le court métrage Santra and The Talking Trees figure dans la programmation du festival La Finlande en 3 films, et sera présenté à l’Institut finlandais dimanche 31 mars. Son premier long métrage Aurora lui, sera projeté au Reflet Médicis en face de l’Institut, le vendredi 29 mars à 20h.

Pour plus de détails sur le programme, rendez-vous ici.

Images du film Aurora