Dans le cadre du programme Une saison en dialogue avec Pekka Halonen, la série de musique de chambre KAIKU / écho revient en novembre avec une deuxième édition intitulée Halonen X Sibelius. En collaboration avec le festival Kamarikesä, ce concert rend hommage à l’héritage musical finlandais et au pouvoir évocateur de la nature nordique, en résonance avec l’exposition Pekka Halonen, un hymne à la Finlande présentée au Petit Palais.

À cette occasion, nous avons rencontré deux des artistes du concert, la soprano Aurora Marthens et la violoniste Fredrika Mikkola, afin de discuter de leur parcours et de la façon dont leur identité finlandaise continue de résonner dans leurs carrières internationales.


 

C’est un vrai plaisir de vous rencontrer et d’échanger à propos du concert à venir. Pour commencer, pourriez-vous nous raconter comment vous en êtes venues à vivre à l’étranger, et depuis combien de temps êtes-vous parties de Finlande ?

Fredrika Mikkola : J’ai fait toute ma scolarité ici à Paris, j’y vis donc depuis que je suis toute petite. Nous retournions néanmoins régulièrement en Finlande pour rendre visite à mes grands-parents, et aussi parce que j’ai étudié le violon auprès du professeur Tuomas Haapanen.

Aurora Marthens : Cela veut dire que l’un de vos parents est français ?

F : Non, en fait ma mère est finlandaise et mon père est tunisien.

A : J’ai grandi en Finlande, mais je suis bilingue – je parle suédois avec ma mère et finnois avec mon père. J’ai grandi à Espoo, près d’Helsinki, mais j’ai toujours rêvé de m’installer en Europe centrale pour y travailler comme chanteuse d’opéra. Ce rêve est devenu réalité quand je me suis installée à Berlin en 2018, à l’âge de 26 ans, pour poursuivre mes études et ma carrière. L’Allemagne compte plus de 80 opéras, je savais donc que les opportunités y seraient nombreuses.

J’ai étudié à l’Université des arts de Berlin pendant presque deux ans, jusqu’à l’arrivée de la pandémie de Covid-19 qui m’a fait rentrer un temps en Finlande. Peu après, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour le programme des jeunes artistes de l’Opéra d’État de Vienne, en août 2020. J’y suis restée deux ans, puis on m’a invitée à rejoindre l’ensemble pour deux années supplémentaires. J’ai donc fait quatre ans de carrière à l’Opéra d’État de Vienne, et depuis deux ans je travaille comme indépendante.

Fascinant ! Comment diriez-vous que la culture finlandaise est présente dans votre vie quotidienne ?

F : D’abord, je parle toujours finnois avec ma famille, ce qui garde ce lien bien vivant. J’aime aussi cuisiner et je prépare souvent des plats traditionnels que ma grand-mère m’a appris. Enfin, j’adore aller au sauna et me baigner dans l’eau glacée.

Quels types de plats aimez-vous préparer ?

F : Des plats très traditionnels – des rouleaux de chou, du saumon, de la perche et le gratin de macaronis.

Charmant ! Les saveurs et les parfums font vraiment vivre la culture au quotidien. Et vous, Aurora ?

A : En plus de mes collaborations avec des musiciens finlandais à travers différents projets, il existe à Vienne une association d’étudiants finlandais très active qui promeut la culture finlandaise. Participer à leurs activités m’a beaucoup apporté. Nous nous retrouvons régulièrement, souvent au café Ihana, tenu par une finlandaise.

En quoi votre identité culturelle finlandaise a-t-elle influencé votre identité musicale et votre vie professionnelle ?

A : J’ai souvent aimé interpréter des mélodies de Jean Sibelius, dont beaucoup sont en suédois. À l’étranger, c’est toujours agréable d’expliquer au public que le suédois est la deuxième langue officielle de la Finlande, et qu’il existe une minorité suédophone importante. À l’avenir, j’aimerais chanter davantage de pièces de Toivo Kuula, Erkki Melartin, Oskar et Aarre Merikanto, Kaija Saariaho et Helvi Leiviskä.

C’est vrai – Sibelius est tellement connu que sa musique est souvent la porte d’entrée vers la musique finlandaise pour les publics internationaux. Mais c’est important aussi de pouvoir mettre en lumière d’autres compositeurs, et ce sont souvent nous les finlandais qui sommes les mieux placés pour le faire.

Et vous Fredrika, comment vos identités culturelle et musicale dialoguent-elles ?

F : J’essaie de mettre en avant la musique finlandaise autant que possible, par exemple dans mes récitals. Pour mon diplôme de musique de chambre au Conservatoire de Paris, j’ai joué des œuvres de Kaija Saariaho et Einojuhani Rautavaara, et j’ai pris plaisir à faire découvrir ces compositeurs à mes camarades qui connaissaient encore peu la musique finlandaise.

J’ai également collaboré avec plusieurs compositeurs finlandais contemporains comme Kimmo Hakola, Jouko Tötterström et Aulis Sallinen. À l’inverse, lorsque je joue en Finlande, je puise souvent dans le répertoire français. J’ai interprété des pièces de compositeurs français contemporains tels que Gabriel Yared, et j’ai créé des œuvres de Michel Runtz et David Chaillou en Finlande.

Comment la richesse de vivre entre deux cultures se manifeste-t-elle dans vos vies ? Quels en sont, selon vous, les avantages et les défis ?

F : Je n’y vois pas vraiment de défis – j’apprécie énormément le fait de pouvoir profiter de deux pays aussi différents. En Finlande, j’aime particulièrement la nature, la diversité des villes et la richesse des scènes musicales et artistiques qui m’inspirent beaucoup.

A : Ce que j’apprécie, c’est que même si je vis à l’étranger, Vienne n’est en réalité pas si loin de la Finlande. Ce serait une tout autre chose de vivre sur un autre continent, mais en Europe, tout reste assez proche.

Vivre dans une nouvelle culture et une nouvelle société enrichit ma vie de manière considérable – notamment en me faisant découvrir d’autres traditions musicales. J’ai aussi beaucoup appris sur les différences entre l’allemand parlé en Allemagne et celui parlé en Autriche, et sur les contrastes culturels entre ces deux pays. Tout cela enrichit ma compréhension de l’Europe dans son ensemble, tout en transformant ma vision de la Finlande. Cela m’a permis d’apprécier différemment certains aspects de la culture finlandaise, et de réaliser que certaines choses y fonctionnent mieux.

J’aime les magnifiques paysages d’hiver finlandais, mais en Autriche, la vie au cœur des Alpes est saisissante à sa manière. Les montagnes me laissent encore parfois sans voix. Je ne pourrais plus imaginer ma vie sans l’Autriche et sans Vienne. Partir à l’étranger permet de reconstruire son identité et de l’orienter autrement. Dans ce processus, on réfléchit beaucoup à qui l’on est, à la personne que l’on veut devenir, à ce qui compte vraiment pour soi et à ce qui résonne en nous à travers différentes traditions musicales.

Parlons du prochain concert KAIKU / écho n°2. Qu’attendez-vous le plus, et qu’est-ce qui vous a séduites lorsque vous avez été invitées à y participer ?

F : C’est un privilège de jouer avec de nouveaux musiciens et de les rencontrer dans le cadre de ce concert. Le programme est magnifique. J’adore la musique de Kaija Saariaho, et je me réjouis particulièrement d’interpréter Aure avec le violoncelliste Anssi Karttunen. J’ai aussi hâte d’entendre le mélodrame de Sibelius. Mon parrain, Lasse Pöysti, l’a souvent interprété, et j’ai écouté un enregistrement réalisé au Festival d’Iitti – c’est une œuvre très marquante.

A : J’ai déjà eu l’occasion de me produire avec Ossi Tanner, mais je suis impatiente de rencontrer les autres artistes du programme. Avec Tanner, nous avons interprété le même mélodrame de Sibelius il y a quelques années au festival Kamarikesä à Helsinki. La partie vocale de ce mélodrame est toujours passionnante, car elle ne tient pas le premier rôle mais crée plutôt une atmosphère mystérieuse aux côtés du texte et de la musique. Je connais très bien les pièces vocales de Sibelius, mais je suis particulièrement heureuse de chanter pour la première fois le cycle des pièces vocales d’Aulis Sallinen, et de pouvoir chanter à la fois en finnois et en suédois dans le même concert.

Comment pensez-vous que ce programme résonnera auprès du public parisien ?

A : Je crois qu’il leur offrira une expérience d’écoute assez nouvelle. C’est particulièrement intéressant de voir comment la sonorité de Sibelius, imprégnée de romantisme national, se mêle aux univers si différents de Sallinen et de Saariaho.

F : Je suis d’accord. Je pense que le public parisien sera particulièrement sensible à l’œuvre de Saariaho, puisque la ville a inspiré sa musique, qu’elle y a vécu longtemps et qu’elle est très connue du public parisien.

Saariaho a en effet joué un rôle majeur dans les échanges musicaux entre la Finlande et la France au cours des dernières décennies.

Et pour la suite, quels projets attendez-vous avec le plus d’impatience, et quel serait votre plus grand rêve musical ?

F : J’attends avec impatience mon concert à Fribourg, en Suisse, et je vais bientôt jouer l’octuor à cordes de Chostakovitch à la Philharmonie de Paris. Mon grand rêve est d’interpréter le Concerto pour violon de Sibelius avec un orchestre symphonique.

A : Pour moi, un grand moment dans l’avenir proche sera d’interpréter le rôle d’Elisabeth dans le Tannhäuser de Wagner au Theater Magdeburg, où je chanterai jusqu’en janvier prochain. J’espère ensuite interpréter peu à peu des rôles encore plus exigeants qui demandent davantage d’endurance. Mon plus grand rêve serait de chanter un rôle principal sur la scène de l’Opéra d’État de Vienne, que je considère comme mon alma mater – un lieu très important dans mon parcours.

Enfin, quelle est votre œuvre préférée de Sibelius, et, dans une autre genre, votre artiste finlandais favori ?

F : Mon œuvre préférée de Sibelius est le Concerto pour violon, que j’ai déjà commencé à travailler avec le professeur Tuomas Haapanen. J’aime aussi beaucoup la chanson Var det en dröm, et plus largement les mélodies de nombreux compositeurs finlandais comme Oskar Merikanto et Toivo Kuula. Côté musique populaire, j’apprécie beaucoup Pepe Willberg avec qui j’ai eu la chance de jouer cet été.

A : Comme Fredrika, j’aime énormément Var det en dröm. Pour ce qui est de la musique populaire, j’ai beaucoup écouté, plus jeune, des groupes et artistes comme Tiktak, Antti Tuisku ou Hanna Pakarinen. Plus récemment, j’ai redécouvert toute la discographie du groupe PMMP, et j’ai trouvé le documentaire sorti récemment sur leur carrière magnifique.

Merci à toutes les deux pour cet entretien !

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Entretien et texte par Elle Palmu